Un peu déroutée, sans doute, par le dernier opus de Jia Zhang Ke. Peut être parce qu'il attaque de façon moins frontale (quoique...) la situation politique et sociologique de la Chine, je ne le mettrai pas au même niveau que ses deux formidables précédents films. Si on classe "les Eternels", plutôt dans la catégorie "étude de psychologie amoureuse", on peut se demander si, compte tenu du caractère très introverti du caractère chinois -on ne montre rien- Zhang Ke y est vraiment chez lui....
Le film est porté par Zhao Tao, égérie et épouse du réalisateur, qui est de tous les plans. En cela, il est une formidable déclaration d'amour! Qiao est jolie, insouciante, et très amoureuse du parrain de la mafia locale, Bin, (Liao Fan). Elle ne se considère pas comme appartenant à la pègre. Comme la cigale de la fable, elle est là pour sauter, danser (sur YMCA: nos amis chinois ont quelques trains de retard...), chanter. Le chéri a un second, des hommes de main, il gère les discothèques et les jeux. Naturellement, il a un revolver, ce que le régime interdit absolument. Naturellement, il a des ennemis, des bandes de petits jeunes surexcités qui abattent son prédécesseur et le coincent un jour en voiture, le tabassent, lui et son chauffeur. C'est en cela que la sociologie n'est jamais loin: cette montée en puissance de la pègre, cette indifférence de la foule qui regarde deux hommes se faire massacrer sans réagir, c'est aussi un terrible portrait de la Chine d'aujourd'hui. Qiao tire, en l'air, pour sauver son amoureux. Elle est arrêtée, affirme que l'arme lui appartient, écope de cinq ans de prison. A sa sortie, elle va rechercher l'homme qu'elle aime, le traquant de province en province, ce qui est encore un moyen de nous montrer cette Chine qui avec le barrage des Trois Gorges déplace sans ménagement des centaines de milliers de villageois, cette Chine rurale si éloignée des munificences de Pékin.... Elle le retrouve, il est reconverti, avec son ancien lieutenant, dans des affaires légales, il a une nouvelle très jolie femme.... il n'a plus rien à faire d'elle. Qiao retourne alors dans le village de sa jeunesse, reprend le contrôle des jeux, suivant un scénario bien peu plausible que Zhang Ke se garde bien de nous détailler. Jusqu'au jour où Bin l'appelle au secours, devenu hémiplégique à la suite d'une attaque cérébrale... Tout cela se termine par une fin déroutante.
Mais Zhao Tao incarne magistralement le passage de cette jolie fille aux tenues voyantes à ce qu'elle est devenue, dix ans plus tard, une femme sans age, sans coquetterie et sans maquillage. Pour elle, et pour ce tableau au noir du pays (presque) le plus puissant du monde, il faut cependant voir Les éternels....