"Joyeux Hunger Games et puisse le sort vous être favorable !".
On ne pensait pas réentendre cette phrase un jour sur grand écran après le dernier volet de la saga "Hunger Games" de 2015 (sans doute le plus faible à nos yeux), pensant que l'âge d'or des adaptations de romans young adult à succès était définitivement arrivée à son terme, mais c'était sans compter sur le prologue imaginé par Suzanne Collins à sa propre trilogie de livres, sorti en 2020, chargé d'étayer le lore des Jeux de la Faim à travers la jeunesse de celui qui en deviendra le principal instigateur et pire ennemi d'une désormais célèbre Katniss: le machiavélique Président Snow.
C'est donc aujourd'hui, à une période où ce type de franchise ne semble plus faire recette, que surgit son portage sur grand écran, sans doute pour voir si une nouvelle vague du genre est capable de renouer avec le succès et relancer évidemment la hype autour d'une fournée inédite de "Hunger Games" next gen.
Là où on avait lu la trilogie originelle et apprécié certains volets au cinéma (les 2 et 3), il faut bien avouer qu'hormis quelques matériaux promotionnels, on est cette fois allé vierge de toute lecture ou informations pour découvrir ce prequel et on ne jugera donc ici que de la valeur du film en lui-même -et non en termes d'adaptation de l'oeuvre du Suzanne Collins sur le sujet- à l'aune de sa raison d'être et de la plus-value qu'il peut apporter à l'univers dystopique mis en place par les épisodes précédents.
Soixante-quatre ans avant le premier film, les membres éminents de la République de Panem sont en ébullition. Alors que les dixièmes Hunger Games s'apprêtent à avoir lieu pour affirmer le règne de terreur du Capitole sur les autres Districts, le peuple commence à se lasser de son opium en forme de jeux du cirque post-modernes. Afin d'y faire renaître l'engouement des foules, il est décidé que les tributs seront placés sous la responsabilité de mentors désignés parmi la caste d'étudiants la plus huppée de la capitale.
Issue d'une famille tombée en disgrâce auprès de ses pairs, le jeune serpent Coriolanus Snow se voit ainsi confier la destinée de Lucy Gray, la représentante féminine/oiseau chanteur du District 12, et y voit là une occasion en or de prouver sa valeur...
À la question de savoir si cette "Ballade du Serpent et de l'Oiseau Chanteur" devait être entonnée pour lever l'ombre sur les années pré-quadrilogie "Hunger Games", on serait presque tenté de dire oui au vu d'ingrédients et de certaines fulgurances loin d'être inintéressantes qui traversent ce prequel de part en part.
D'abord, même si elle est de très forte influence "Starwars-ienne" (en mode prélogie) dans le principe, l'idée de revisiter une partie de la genèse de cet univers par le biais de celui qui en deviendra l'éminent antagoniste n'est pas la plus sotte qu'il soit, offrant l'attente de ce qui va engendrer un inévitable basculement du côté obscur de la part d'un personnage principal encore en plein construction sur la moralité de ses agissements.
Dans ce prolongement, le voir évoluer et donc grandir dans un monde où les "Hunger Games" en sont encore à leur état le plus primaire pour ensuite, sous couvert de bonnes intentions (et de sentiments naissants) de Snow à l'égard de sa protégée, muter en véritable show télévisée ne reculant sur aucune manipulation cruelle, a du sens et redonne même un peu de sel à la critique la plus vive du détournement du monde du spectacle des romans de Collins. Entre le traitement des tributs réduits au rang d'animaux, la montée en puissance des artifices médiatiques (mention spéciale à leur présentateur en chef interprété par Jason Schawrtzman, parfait en prédécesseur de Stanley Tucci) et les va-et-vient du confort des coulisses aux quelques pointes d'intensité des événements violents de l'arène, "La Ballade du Serpent et de l'Oiseau Chanteur" est loin de manquer de bons moments, bien épaulé par Tom Blyth et Rachel Zegler dans les rôles principaux de Snow et d'une néo-Katniss aimant pousser la chansonnette.
Enfin, la bifurcation par laquelle passe la dernière partie en vue d'établir définitivement le sombre avenir embrassé par son anti-héros est plutôt séduisante dans ses intentions et la mythologie qu'il permet de visiter sous un angle différent...
... Mais tout cela est malheureusement beaucoup trop mal agencé et peine à emporter l'adhésion sur son interminable durée !
Même si Donald Sutherland lui a apporté une belle froideur charismatique tout au long des quatre précédents films, la version cinéma du Président Snow est loin d'avoir eu un impact aussi énorme que celui d'un Darth Vader dans la mémoire collective (sa version roman était bien plus sans pitié) et lui adjoindre un background imitant le même schéma d'ambivalence ne peut déboucher que sur des ressorts de destinée contrariée déjà connus dans leur globalité. En dépit de tous les efforts déployés pour essayer d'enlever ce sentiment, ce prequel ne prétend de fait qu'à un chemin un minimum solide faute de détours vraiment originaux vers lesquels se tourner.
De plus, le film étant un "Hunger Games", il se sent obligé de faire la part belle aux Hunger Games qu'il met justement en scène, étirant la bataille jusqu'à plus soif avec quelques péripéties efficaces mais toujours liées à des souvenirs des précédents opus et pauvrement filmés par un Francis Lawrence trop peu inspiré (la première mêlée réalisée à hauteur de participants était pourtant une si chouette idée de plan-séquence... écourtée en quelques secondes). Certes, ces Jeux de la Faim sont une étape décisive du parcours de Snow mais ils tiennent ici un rôle central exagéré, devenant même ce qu'ils entendent dénoncer: un spectacle tenant du passage obligé, conçu pour répondre aux attentes de "battle royale" du public vis-à-vis d'un long-métrage intitulé ainsi.
Comme s'il en prenait lui-même conscience, le dernier acte du film a le mérite de chercher à déjouer cela mais, là encore, au-delà de certains points salvateurs pour finaliser les ténèbres qui s'emparent de Snow, il peinera à emporter la mise à cause d'une exécution ayant tendance à s'étaler jusqu'à ce que l'ennui l'emporte sur tout le reste.
Non dénué de réelles qualités qui rendent sa proposition digne d'intérêt, "Hunger Games: La Ballade du Serpent et de l'Oiseau Chanteur" se perd hélas sur une trop longue durée confinant à une forme de gavage qui ne peut qu'aller dans le sens contraire d'un film répondant au nom de "Hunger Games". Si suite il y a (on laisse Snow à un moment donnant bien entendu d'en voir plus), pitié, essayez d'être plus digestes !