En cette période de canicule on ne peut qu’apprécier un film qui nous emmène dans les étendues glacées du Groenland….Le film de Samuel Collardey, une année polaire, est sorti fin mai, et son exploitation sur Paris touche à sa fin… Il retrace le périple d’Anders, un jeune instituteur danois sans expérience, parti prendre son premier poste à Tiniteqilaaq, minuscule village inuit perdu au fin fond du Groenland, désireux d’échapper à un destin tout tracé (son père attendait de lui qu’il reprenne la ferme familiale). Sur place, il est confronté à une classe d’enfants agités et, plus généralement, à la méfiance des habitants, formant une communauté isolée. Pas à pas, Anders s’initie au mode de vie local et découvre un monde rattrapé par la modernité, le réchauffement climatique grignotant la banquise, l’exil des jeunes partant faire leurs études ailleurs. L’instituteur se lie plus particulièrement avec l’un de ses élèves en difficulté, Asser, 11 ans, qui rêve de devenir chasseur comme son grand-père. Le film est un mélange de documentaire et de fiction. Anders, le jeune instituteur, est interprété (plutôt bien) par le vrai instituteur de Tiniteqilaaq, qui revit, devant la caméra, son installation mouvementée et sa première année scolaire au bord de la banquise. Ses élèves et les autres villageois, eux aussi dans leur propre rôle, lui donnent la réplique avec un naturel étonnant. Le film est passionnant quand il s’adonne à sa veine anthropologique, plongeant dans le quotidien des Inuits, s’arrêtant sur leurs visages et leurs gestes, détaillant leurs pratiques, comme la pêche au phoque, les courses en traîneau, la fabrication d’un harnais, la procession d’un enterrement….filmant de magnifiques aurores boréales…Il se termine même en film d’aventure, Anders, Asser et leurs deux guides partent plusieurs jours en traîneau à chiens pour chasser l’ours blanc dans les montagnes. Le convoi traverse des paysages somptueux, franchit, péniblement, un col recouvert d’une neige immaculée, avant de se ¬retrouver bloqué par la tempête : il faut de toute urgence construire un igloo dans la fureur du blizzard. Mais le film peut aussi être plus grave et rappeler trop timidement, que le Groenland reste une colonie avec tous les rapports de domination et d’humiliation que cela implique pour les Inuits, privés de tous les postes à responsabilité sur leur terre natale au profit des Danois, la fonctionnaire qui l’a recruté lui a bien précisé que ce poste avait une mission civilisatrice consistant à inculquer le danois à ces populations, et à ne pas chercher à en apprendre la langue…son propre père, pour le dissuader de partir lui a présenté ces populations comme incultes et ivrognes…. Que pèse le discours d’un enseignant face à une population qui ne parle pas la même langue que lui et qui envoie plus volontiers ses enfants à la chasse à l’ours ou à la pêche au narval qu’à l’école ? Sûr de son bon droit de colonisateur, Anders s’arc-boute et tente de passer en force. L’indifférence, puis le rejet des habitants l’obligent à comprendre qu’ici comme ailleurs, le secret d’une intégration réussie passe par l’adoption des traditions et du mode de vie de ceux avec qui il entend cohabiter et c’est en apprenant la langue de ses hôtes qu’il parviendra à se faire accepter…mais certains points resteront dans l’ombre malgré le questionnement d’Anders… comme l’alcoolisme endémique des Inuits, qui explique pourquoi les enfants sont souvent élevés par leurs grands-parents, l’absence de perspectives économiques, la perfusion des aides sociales…la tentation du pittoresque et du grandiose, et ces larges plans panoramiques à la blancheur immaculée …prend le pas sur l’analyse sociale… mais cela reste un film vrai…