Une mystérieuse prison verticale, avec en son centre une plateforme amovible. Quand la plateforme entame sa descente, elle est couverte des plats les plus raffinés, à chaque étage, on se sert. Ceux des premiers étages se baffrent, ceux des tréfonds meurent de faim, puis les survivants échangent leurs rôles. Goreng se réveille au niveau 48.
A première vue, on pourrait croire que La Plateforme se cantonne à une métaphore quelques peu balourde sur les dérives du consumérisme et du capitalisme sauvage, mais le long-métrage de l’espagnol Galder Gaztelu-Urrutia va beaucoup plus loin. Récompensé au Toronto International Film Festival ainsi qu’au Festival de Sitges, La Plateforme explore les recoins les plus sombres de la nature humaine.
Très violent, sur le fond comme sur la forme, l’œuvre transpire la crasse, le sang, la dégénérescence physique et morale. Gatzelu-Urrutia prend le parti d’un minimalisme diablement efficace, qui n’est pas sans rappeler le Cube de Vincenzo Canali (1997). On ne saura rien des évènements extérieurs, ni de l’énigmatique « Administration » aux commandes de cette société dystopique. Le spectateur est enfermé entre quatre murs comme les personnages, avec pour seule compagnie le désespoir.
Car c’est bien de désespoir qu’il s’agit là. On serait volontiers tenté d’attribuer toute la cruauté du système aux seuls décideurs, mais il n’en est rien. On comprend rapidement que cette machine de mort serait vite enrayée si ses victimes refusaient d’appliquer ses règles. Au contraire, les détenus ne font qu’envier leurs congénères des étages supérieurs et mépriser ceux sous leurs pieds.
Ils ne sont pas simplement sacrifiés à la plateforme, ils contribuent à son œuvre, une fatalité qui fera immanquablement penser à cet « enfer » que décrivait Sartre dans sa pièce Huis-clos (1943). Le personnage de Trimagasi, magistralement interprété par Zorion Eguileor, illustre parfaitement cette idée en vieillard sociopathe, dont l’attitude doucereuse et inquiétante n’est pas sans rappeler un certain Hannibal Lecter…
Pour conclure, on retiendra de La Plateforme une œuvre viscérale, sans concessions et maîtrisée de bout en bout. Loin d’être aussi évident dans son propos qu’on aurait pu le craindre, le film explore la face sombre qui réside en chacun de nous, cet « abime » nietzschéen qui peut surgir sans crier gare. On en sort déboussolé, et l’on se demande « Quelle genre de personne serai-je dans cette situation » ? C’est précisément en cela que le film a gagné.