Nouvelle preuve que le cinéma espagnol sait faire des films de genre intelligents, esthétisés et maîtrisés, et cette nouvelle épreuve à la sauce anticipation ne fait que renforcer cette sensation. En effet, tout commence ici par le scénario bien ficelé, tortueux et avant tout d’une originalité assez appréciable, sachant crocher l’attention immédiatement, entrant facilement dans le vif du sujet et proposant une vision unique du message principal que le film brandit, soit la lutte des classes, tout en exposant cela dans un univers pseudo futuriste, non pas par ces images (même si certains éléments de l’intrigue relève tout de même de science-fiction pure, tel que le mécanisme qui permet à la plateforme de se mouvoir) mais plutôt par son propos, simple mais efficace. Tout est fait pour perdre pied étant donné que ce qui nous est proposé de découvrir est totalement nouveau, et apportant son lot de règles et de mécanisme lui étant propre, donnant lieu à des moments assez savoureux, créant un réel suspense concernant les tenants et aboutissants de ce lieu, mais surtout de cette société, jouant habillement du sentiment de découverte mais n’entrant que très peu dans le pure exposition. Cela signifie donc que la suggestion et la suspension d’incrédulité se doivent d’être suffisamment puissantes pour tenir en haleine, et malgré quelques éléments étranges (rôle réel de ce centre d’enfermement unique en son genre de la société dans laquelle il existe, par exemple), on se laisse totalement prendre au jeu, on s’interroge tout du long et même une fois le film terminé, la réflexion se poursuit, jouant subtilement entre théories et imagination du spectateur, ce qui est plus que plaisant, puisque le film réussi à exister en dehors de l’œuvre en elle même, parvenant à dépasser l’écran, au point d’en créer un mythologie à part entière, et si cela peut perdre un part des spectateurs qui aime que tout soit expliquer, les mystères que règnent à la fin du visionnage sont très bons et plaisant à ré-assembler. Puis il est indéniable que ce qui donne sa teinte si particulière à l’intrigue et à l’univers dépeint, c’est le symbolisme qui est très présent, à tel point que grande partie du film s’appuie dessus pour exprimer ses messages ou tout simplement pour certains éléments du scénario (la numéro de la dernière cellule en est un bon exemple), devenant presque indispensable à la bonne compréhension de l’ensemble. En effet, sans entrer dans le détail du dénouement, partie du film qui semble avoir fait couler beaucoup d’encre et instiller de nombreuses prises de tête, on sent bien le partie pris du réalisateur de faire entrer les symboles qu’il utilise dans la construction même du développement du scénario, et dans ce sens, la fin du film prend une toute autre tournure et apporte ainsi l’éclat parfait à tout ce dont on vient d’assister. Et même l’avancement de l’intrigue ou simplement les personnages qui peuplent cette histoire fonctionnent sur ce système de symboles et de sous entendus, le tout afin d’apporter la vision très critique sur notre société et ses rouages de façon à la fois subtile et divertissant, et parvenant avant tout à faire réfléchir, que ce soit concernant le déroulement des évènements ou que ce soit dans le sous-texte. Chaque élément qui nous est montré dans cette histoire existe avant tout dans le symbolisme, et regarder ce film sous ce prisme permet d’y voire plus claire dans cette dystopie, de saisir de manière plus profonde ce qui tend à nous être fait entendre, et cette utilisation de sens plus imagé des nombreux éléments fonctionne totalement, donnant un poids supplémentaire à ce qui se déroule. Car si l’imagerie du double sens prend très bien, il est clair que l’image au sens propre du terme apporte son lot de bonnes idées, offrant une ambiance bien dosée, une colorimétrie fidèle à ce qui est exposé (le contraste avec les scènes des cuisines est saisissant) et il est évident que le décor qui est basique en tant que tel, puisqu’il s’agit de simple cellule, équipée d’une fosse, deux lits et un numéro, repose avant tout sur l’atmosphère dégagée par ce lieu, qui apporte une nuance intelligente par le scénario (l’évolution mensuelle) grâce à une seul élément de décor : la plateforme et ce qu’elle contient, différent suivant le niveau auquel se déroule l’action. De plus, si le film se revendique avant tout de l’univers de l’anticipation et de l’expérience sociologique, les quelques éléments visuels issus de l’univers de l’horreur trouvent totalement leur place dans ce film, et d’autant plus que leur qualité est assez plaisante, offrant quelques moments de violence parfaitement liés à ce qui tend à être dénoncé (illustrant que le changement c’est forcement violent) et allant même chercher des effets d’humour qui prennent totalement, parvenant à contraster intelligemment avec la tension constante qui règne et la labyrinthe cérébral vers lequel le film tend au fur et à mesure de son développement (la plus belle illustration en la matière étant bien évidement l’anecdote du « Samouraï Plus » et sa chute). Après il faut rester réaliste concernant la qualité technique de l’ensemble de l’œuvre, car même si le film semble que très peu reposer sur le numérique (par la simplicité de son décor), il est rapidement flagrant que les quelques effets spéciaux fait par ordinateurs et autres fonds verts sont un peu trop visible, mais cela reste vraiment un mineur partie de ce que l’on voit puisque l’essentiel est fait en effets réels, et concernant maquillage et autres prothèses fonctionnent plutôt bien, sans non plus révolutionner le genre. Le rythme de l’ensemble est de bonne augure, peu de scène semblant réellement barbantes, mais surtout par son montage parfaitement organisé et très travaillé concernant la musique, s’illustrant avant tout par des sons et autres bruits arrangés, plus que par le musique pure et dure, renforçant parfaitement le sentiment de malaise, de temps qui passe, ou pas, et de tension, puis la construction de l’intrigue est bien mise en valeur par le montage général et cela avec un double impact : les changements de niveau et les changements de personnages accompagnant le héros. Cela permet à l’ensemble du scénario de se renouveler constamment afin d’exposer un maximum d’idée concernant l’univers établi, toujours dans l’unique objectif de faire passer sa vision et le message qu’il veut transmettre, chaque protagoniste rencontré servant de vecteur pour illustrer un trait de la société (l’acceptation, la rébellion ou simplement l’idéal) et chaque niveau exploré permettant d’illustrer les classes qui composent la société (les favorisés, les laissés pour compte ou simplement ceux qu’on ignorent), donnant cette sensation que tout ce qui est exposé compte dans l’appréhension de l’ensemble de l’œuvre. Que l’on y voit une relecture du mythe de Don Quichotte (personnage iconique de la culture hispanique et donc plus évident avec cette sensibilité, mais les grandes idées sont universelles donc peuvent parler plus largement, d’où un certain engouement pour ce film à sa sortie) ou une vision apocalyptique dans l’évolution de la société telle que nous expérimentons tous (comment créer cette fameuse « solidarité spontanée » ? est ce que cela peut être compris par l’ensemble de l’Humanité?), chaque interprétation semble valable, car l’univers de cette œuvre repose essentiellement sur le mystère et il semble clair que le scénariste tout comme le réalisateur n’avaient pas pour objectif de créer une mythologie complète, mais plutôt de la suggérer pour y inclure un message bien plus universel que la dystopie qu’elle évoque. Et si tout n’est pas parfait, et que certains éléments peuvent être discutables dans la crédibilité (le changement soudain et maîtrisé de température des cellules laissent perplexes) tout comme les actions de certain personnages qui sont là pour faciliter l’avancement du scénario, on ne peut pas dire que ce que propose ce film soit de faible, bien au contraire car la réflexion qu’apporte tout ce qui se passe est bien plus puissant que ce que l’on voit. Bien sûr que la mise en scène générale n’a rien de transcendant et reste assez basique dans sa structure, ne laissant pas l’impression d’avoir vu des images peu vue auparavant ou même des effets particulièrement marquants, néanmoins ce qui est mise en image apportent l’illustration adéquat à ce qui est dit à travers le scénario. Alors on pourrait certainement trouver certains défauts techniques, quelques idées pas toujours très bien rendue à l’écran et parfois même un peu exagéré (mais le symbolisme passe par cette façon d’explorer toutes le facettes du symbole, même le plus extrême) et que la mise en scène n’est pas toujours de très bon goût, il en reste pas moins que l’on assiste malgré tout à un moment assez unique en ce genre, dont l’idée singulière trouve parfaitement du sens dans l’ensemble du film (jusqu’au nom des protagonistes qui semble tout droit sortis d’un conte), tout en parvenant à laisser l’imagination faire le reste du travail, et rien que cela, c’est plaisant.