Après avoir regardé plusieurs fois le film et longuement réfléchi aux interprétations possibles, j’en viens à plusieurs conclusions qui, selon moi, permettent de comprendre la réelle manière d’interpréter ce film tout en comprenant pourquoi ce film divise autant.
Tout d’abord, la première erreur que nous faisons lorsque nous abordons ce film est de ne pas le voir comme autre chose ce qu’il est, c’est-à-dire une immense métaphore. SI on se concentre sur la cohérence, sur ce que nous voyons, nous seront vite déçu. Est-ce les maladresses d’un jeune réalisateur ou est-ce au contraire laissé volontairement pour nous pousser à l’interprétation ? Nul ne le sait, mais ce qui est sûr c’est qu’il ne faut pas tenter de faire l’inquisition aux incohérences, car ce film en est truqué : comment la petite fille a-telle survécu autant de temps, comment sa mère (qui ne l’est pas) fait pour se réveiller constamment en haut, et bien d’autres…
Pour ce qui est de l’interprétation, je l’identifie en deux parties, tout d’abord comme une auto-critique politique et anthropologique (ce que la majorité des interprétations proposent), mais surtout une réponse christique. Je pense que ce film est une métaphore chrétienne.
Pour ce qui est de l’auto-critique, il y a dans un premier temps les systèmes économicopolitiques qui sont visés. La nourriture qui « ruissèle » est, dans une certaine mesure, une métaphore de nos sociétés capitalistes. Les gens sont munis de leurs rêves (ex. Devenir la Marylin Monroe asiatique, avoir sa certification, etc…), mais tous se retrouvent seuls face à la froide réalité du système pyramidal qui ne leur permet pas d’atteindre leurs rêves. En effet, le système capitaliste est bloqué, vous ne pouvez pas demander aux personnes du bas de rationner, elles qui souffrent autant et qui voient les autres se gaver (parallèle à la difficulté de faire entendre les discours écologistes aux classes les plus populaires, quand on sait que ceux qui polluent le plus sont les ménages les plus aisés) ?
Pour ce qui est des personnes au-dessus de vous, qui ont le confort ; pourquoi abdiqueraient-elles leur cher confort, elles qui ont la rare chance de pouvoir se gaver ? Seul la menace marcherait, mais quand on se tourne vers l’Administration, vers ceux qui sont tout en haut, on voit qu’il ne se rendent même pas compte de ce qui se passent en dessous (en écho avec le fossé entre les exécutifs des démocraties modernes avec les revendications populaires ?) ; cela s’illustre par la réaction des chefs à la vue de la panna cota. Une fois ce plat, ce symbole remonté, les chefs ne s’indignent pas pour la réelle revendication, mais pour les détails (le vieil homme mentionnait d’ailleurs l’importance des détails). C’est le cheveu qui rend fou l’Administration, complètement aveugle (La jeune femme ayant travaillée 25 ans dans l’administration n’était absolument pas au courant de la réalité du fameux « Centre Vertical d’Autogestion ». Le système capitaliste pousse donc à l’individualisme et ne permet pas la libération humaine.
Enrobées dans nos pêchés décrits tous le long du film (gourmandise, orgueil, envie), nous ne pouvons même pas espérer d’être aidé par notre prochain, qui préfèrera, si sa situation le permet, à nous chier dessus, pour le plus grand malheur des rares âmes charitables, qui, perverties par ce système, ne deviendront que la pire représentation de ce dernier (le personnage principal mange celui qui désirait le manger, la jeune femme finit raciste, etc…)
Le seul moyen reste alors la révolution, le rationnement, le socialisme d’une certaine manière. Mais rien n’étant spontané, le système pyramidal, l’instinct de survie, mais surtout le fait que l’humain soit IMPARFAIT empêche ce système de rationnement d’exister. En effet, les deux personnages tentant cette redistribution finiront par tuer les personnes qu’il voulaient au départ aider. Et si cela fait écho à l’échec des tentatives communistes en URSS (Holodomor, grandes famines), en Chine (grand bond en avant) ou encore au Cambodge ? L’idée de départ paraît parfaite, on a assez de nourriture pour tenir jusqu’en bas, mais la réalité du système et de l’âme humaine souillée oblige la violence, qui se retourne contre nous, d’où le fait que les applications du communisme n’aient jamais correspondes aux thèses et utopies écrites.
On pourrait arrêter là l’interprétation, néanmoins cela serait rater la réponse qu’apporte le film. Je ne pense pas que la fin soit bâclée. En effet, elle propose une solution à la perversité et l’individualisme de l’être humain, fondu dans des systèmes imparfaits. L’inverse de l’impur est le pur. L’inverse de l’adulte souillé par le système et les pêchés correspond à la figure de l’enfant (1). Le contraire de l’humain, imparfait est le parfait (2).
Seul un être pur et parfait, (véritable négation de ce qu’est l’humain, négation qui permettrait de s’accomplir soi-même dans un paradigme Christo-hégelien) pourrai libérer les hommes de leurs natures et systèmes imparfaits. Dieu est mentionné à plusieurs reprises dans le texte, et on comprend que ce héros, ressemblant d’ailleurs à Don Quijote, ne pourra pas mener à bien sa mission, car il n’est au fond qu’un humain, il n’est pas Dieu, il est voué à l’échec tel Don Quijote.
Mais il y a un espoir ; la fille de Miharu (qui était alors jusque-là appelée son « fils » ; ce qui fait un écho à la figure du « fils » dans la sainte trinité, on comprend donc que cet enfant, représentant la pureté par son âge et sa position dans la fosse, et la perfection de par le fait qu’il soit la réincarnation de Miharu (en écho au Christ, être parfait purgeant les pêches des hommes et les libère + Miharu désigne « faire ouvrir les yeux », ce qui marque une nouvelle fois la dimension Christique de ce personnage). Le chiffre 3 a d’ailleurs son importance car c’est à l’étage 333 (nombre angélique (les protagonistes qualifiant d’ailleurs leurs missions comme celles de deux anges), mais également, si multiplié par deux (nombre de personnes par étage) donne 666, le chiffre du diable)).
La plateforme représente alors l’enfer (comme mentionnée à plusieurs reprises), l’enfer du pêché et de l’imperfection humaine. Néanmoins, le fait qu’il n’y ai qu’un seul enfant à l’étage 333 font qu’il n’y a pas 666 personnes, et cet enfant, qui est la résurrection, la jeunesse, l’avenir, qui est la perfection de Dieu peut libérer les hommes. On comprend alors que la plateforme représente l’enfer, mais que le Divin enfant, descendu jusqu’en bas (sorte de purgatoire où termine le Don Quijote pêcheur (qui est para ailleurs mort, comme sa Miharu mère de Dieu), remontera (parallèle à l’élévation divine) tout en haut de la plateforme et délivrera les hommes. Les hommes sont imparfaits et le système les rends pêcheurs, mais « La plateforme » nous donne l’espoir de la libération parfaite permise par Dieu, symbolisé par l’enfant.
« La Plateforme » est un film profond, symbolique, métaphorique et christique, frustrant de ces imperfections (mises en abyme de l’imperfection humaine ) ? Mais un film pouvant se révéler (en écho à la révélation divine (c’est bon, j’arrête, promis…)), être d’un rare soucis du détail, et qui mérité pour cela, qu’on prenne le temps de le laisser infuser dans notre esprit, mais également que nous n’ayons pas le soucis de la cohérence sur ce qui est montré, mais bien sur ce qui VEUT être montré.