Dans le titre du film, le mot « voyage » est au singulier, mais, en vérité, il est question de trois voyages ou de trois sortes de voyages différents. Le premier, le plus évident, c’est celui qui a conduit un père (joué par Sergi Lopez), sa fille Marta (Elena Andrada) et le petit frère de celle-ci au Sénégal. Ce voyage-là, c’est celui auquel ont droit les touristes en villégiature dans leur hôtel de luxe. Tout est mis en œuvre pour qu’ils puissent y passer un séjour agréable en restant en sécurité tout en participant à des activités (excursions, danses folkloriques) qui leur donnent l’illusion de partager un peu quelque chose de la vie des gens. Ce voyage-là n’est qu’un décor créé pour les touristes, ce que ressent fortement Marta qui, bien que n’ayant que 17 ans, n’y participe qu’à contre-cœur.
C’est la raison même pour laquelle, quand l’occasion se présente, elle s’aventure sur le terrain d’un autre voyage. Celui-là ne la conduit pas bien loin, mais lui fait découvrir une toute autre réalité que celle qu’on réserve aux touristes. Marta s’introduit dans la zone attribuée aux employés de l’hôtel et se lie d’amitié, de complicité, avec Khouma, jeune vidéaste chargé de filmer les activités des touristes afin qu’ils puissent en acheter les bandes vidéo, et Aissatou, une des femmes de ménage du lieu. Elle découvre un autre monde que celui qu’on concocte pour les vacanciers, elle accompagne même Khouma dans des lieux autres que ceux qui sont prévus pour les touristes.
En osant cette transgression (que son père lui reproche vivement lorsqu’il la surprend dans une de ses escapades), Marta, séduite par Khouma, est bientôt amenée à entreprendre une troisième sorte de voyage, tout intérieur celui-là. Disons que c’est le voyage qu’entreprend sa conscience pour passer de la faute à la culpabilité et de celle-ci à l’aveu. Pour plaire au vidéaste, Marta commet en effet un méfait dont les conséquences risquent de retomber sur quelqu’un d’autre qu’elle. Ce qui la conduit à une véritable prise de conscience de ce qu’elle a fait et à un changement de regard.
Filmée sans grands chichis par un cinéaste catalan (avec, peut-être, un peu trop d’inserts de vidéo tournés par Khouma), cette œuvre, au scénario intelligent et subtil, mérite grandement le déplacement. Malheureusement, elle ne restera probablement pas longtemps à l’affiche.