CRITIQUE DE LEILA SLIMANI : Le Maroc a des mines de phosphates, des kilomètres de côtes et un climat d’une enviable douceur. Mais une de ses plus grandes richesses, ce sont ses cinéastes. Depuis bientôt quinze ans, une nouvelle génération de réalisateurs filme avec rage et sensibilité les mutations de cette société. Certains, comme Nabil Ayouch avec «Much Loved», ont provoqué des scandales tant il est vrai que le choc des images reste extrêmement violent dans un pays qui a parfois du mal à se regarder en face.
Faouzi Bensaïdi fait partie des meilleurs réalisateurs de sa génération. Il s’est fait connaître avec «Mille mois», présenté au Festival de Cannes et dans lequel il revisitait les années de plomb sous le règne de Hassan II. Dans «What a Wonderful World», chronique quasi-muette sur le Casablanca moderne, il laissait libre cours à sa veine burlesque et interrogeait déjà les conséquences de la mondialisation sur une société traditionnelle. Il poursuit aujourd'hui son oeuvre avec «Volubilis». Meknès, laboratoire du Maroc moderne
Il y a quelques semaines, je me suis rendue à l’avant-première de «Volubilis» avec ma mère. Nous sommes sorties de la salle bouleversées, révoltées, fascinées aussi par la capacité de Fouazi Bensaïdi à filmer le Maroc contemporain. Ma mère a grandi à Meknès, cette petite ville de province où se déroule l’intrigue. Ancienne ville de garnison, Meknès fut dans les années cinquante une cité coquette où les colons, qui possédaient de prospères fermes alentour, scolarisaient leurs enfants. Dans les années 1990, l’exode rural a profondément transformé la ville. Des paysans fuient la misère et la sécheresse, et s’installent dans ses faubourgs. La splendeur passée a disparu, la laideur a envahi les rues et le pouvoir est passé entre les mains des conservateurs. Meknès, c’est le laboratoire du Maroc moderne, et c’est là qu’Abdelkader et Malika, les héros de cette histoire, s’aiment d’amour tendre.
Il est vigile dans un centre commercial que fréquente la petite bourgeoisie. Elle est bonne à tout faire dans une de ces maisons bourgeoises. Il est rare qu’un réalisateur marocain filme avec autant de sensualité une passion amoureuse. Il faut dire qu’il est servi par ses acteurs, Nadia Kounda, d’une beauté à vous transpercer le cœur, et Mouhcine Malzi, qui dévore sa jeune épouse des yeux. Ils sont beaux, ils sont jeunes, ils sont mariés selon les lois en vigueur et c’est pourtant l’histoire d’un amour impossible. Car leur condition sociale leur interdit d’envisager un avenir heureux.
Le Maroc a des mines de phosphates, des kilomètres de côtes et un climat d’une enviable douceur. Mais une de ses plus grandes richesses, ce sont ses cinéastes. Depuis bientôt quinze ans, une nouvelle génération de réalisateurs filme avec rage et sensibilité les mutations de cette société. Certains, comme Nabil Ayouch avec «Much Loved», ont provoqué des scandales tant il est vrai que le choc des images reste extrêmement violent dans un pays qui a parfois du mal à se regarder en face.
Faouzi Bensaïdi fait partie des meilleurs réalisateurs de sa génération. Il s’est fait connaître avec «Mille mois», présenté au Festival de Cannes et dans lequel il revisitait les années de plomb sous le règne de Hassan II. Dans «What a Wonderful World», chronique quasi-muette sur le Casablanca moderne, il laissait libre cours à sa veine burlesque et interrogeait déjà les conséquences de la mondialisation sur une société traditionnelle. Il poursuit aujourd'hui son oeuvre avec «Volubilis».
Meknès, laboratoire du Maroc moderne
Il y a quelques semaines, je me suis rendue à l’avant-première de «Volubilis» avec ma mère. Nous sommes sorties de la salle bouleversées, révoltées, fascinées aussi par la capacité de Fouazi Bensaïdi à filmer le Maroc contemporain. Ma mère a grandi à Meknès, cette petite ville de province où se déroule l’intrigue. Ancienne ville de garnison, Meknès fut dans les années cinquante une cité coquette où les colons, qui possédaient de prospères fermes alentour, scolarisaient leurs enfants. Dans les années 1990, l’exode rural a profondément transformé la ville. Des paysans fuient la misère et la sécheresse, et s’installent dans ses faubourgs. La splendeur passée a disparu, la laideur a envahi les rues et le pouvoir est passé entre les mains des conservateurs. Meknès, c’est le laboratoire du Maroc moderne, et c’est là qu’Abdelkader et Malika, les héros de cette histoire, s’aiment d’amour tendre.
Il est vigile dans un centre commercial que fréquente la petite bourgeoisie. Elle est bonne à tout faire dans une de ces maisons bourgeoises. Il est rare qu’un réalisateur marocain filme avec autant de sensualité une passion amoureuse. Il faut dire qu’il est servi par ses acteurs, Nadia Kounda, d’une beauté à vous transpercer le cœur, et Mouhcine Malzi, qui dévore sa jeune épouse des yeux. Ils sont beaux, ils sont jeunes, ils sont mariés selon les lois en vigueur et c’est pourtant l’histoire d’un amour impossible. Car leur condition sociale leur interdit d’envisager un avenir heureux.
Faouzi Bensaïdi nous raconte ce que c’est de s’aimer quand on est pauvre, quand on n’a pas de chambre à soi pour se toucher et se dire sa passion. Comme des milliers de couples marocains, Malika et Abdelkader sont contraints de vivre chez leurs parents, au milieu de leurs frères et sœurs, dans le bruit et la promiscuité. Virginia Woolf avait merveilleusement expliqué, dans «Une chambre à soi», que la question de l’espace intime est politique. Qu’il ne peut y avoir d’émancipation et encore moins d’égalité quand on ne dispose pas d’un lieu où s’extraire de la société, où échapper au regard des autres. Cette frustration, Fouazi la filme magnifiquement dans une scène où les deux amoureux mangent dans un fast-food, haut lieu d’une modernité factice.
"Comment profiter de la vie quand tu as peur?"
Dans la première partie du film, Faouzi renoue avec son amour pour le burlesque grâce au personnage d’Abdelkader, si fier de son uniforme, de son autorité, de sa brutalité même. Et puis la légèreté, au fur et à mesure, se fissure. Un voile noir recouvre les personnages et les lieux. C’est cela la fatalité de la pauvreté: un minuscule accident et la vie bascule dans l’horreur. On ne pardonne pas aux misérables de se battre pour leur dignité, il n’y a pas de place pour ceux qui ne supportent pas d’être humilié.
« Volubilis » est un film qui restera tant il raconte avec acuité et passion à quel point la violence structure les relations sociales au Maroc. Dans ce pays où les inégalités ne cessent de se creuser, les parvenus écrasent plus petits qu’eux, la justice n’est qu’un mot abstrait, l’avenir un mur contre lequel vous vous cognez le front. Le titre est emprunté à ce site archéologique romain qui se trouve à quelques kilomètres de Meknès et où les deux amoureux vont passer un dimanche. «Comment veux-tu profiter de la vie quand tu as peur? Peur de perdre un travail, peur d’avoir faim, peur qu’on te coupe le courant», demande la jeune Malika.
Le Maroc a des mines de phosphates, des kilomètres de côtes et un climat d’une enviable douceur. Mais une de ses plus grandes richesses, ce sont ses cinéastes. Depuis bientôt quinze ans, une nouvelle génération de réalisateurs filme avec rage et sensibilité les mutations de cette société. Certains, comme Nabil Ayouch avec «Much Loved», ont provoqué des scandales tant il est vrai que le choc des images reste extrêmement violent dans un pays qui a parfois du mal à se regarder en face.
Faouzi Bensaïdi fait partie des meilleurs réalisateurs de sa génération. Il s’est fait connaître avec «Mille mois», présenté au Festival de Cannes et dans lequel il revisitait les années de plomb sous le règne de Hassan II. Dans «What a Wonderful World», chronique quasi-muette sur le Casablanca moderne, il laissait libre cours à sa veine burlesque et interrogeait déjà les conséquences de la mondialisation sur une société traditionnelle. Il poursuit aujourd'hui son oeuvre avec «Volubilis».
Meknès, laboratoire du Maroc moderne
Il y a quelques semaines, je me suis rendue à l’avant-première de «Volubilis» avec ma mère. Nous sommes sorties de la salle bouleversées, révoltées, fascinées aussi par la capacité de Fouazi Bensaïdi à filmer le Maroc contemporain. Ma mère a grandi à Meknès, cette petite ville de province où se déroule l’intrigue. Ancienne ville de garnison, Meknès fut dans les années cinquante une cité coquette où les colons, qui possédaient de prospères fermes alentour, scolarisaient leurs enfants. Dans les années 1990, l’exode rural a profondément transformé la ville. Des paysans fuient la misère et la sécheresse, et s’installent dans ses faubourgs. La splendeur passée a disparu, la laideur a envahi les rues et le pouvoir est passé entre les mains des conservateurs. Meknès, c’est le laboratoire du Maroc moderne, et c’est là qu’Abdelkader et Malika, les héros de cette histoire, s’aiment d’amour tendre.
Il est vigile dans un centre commercial que fréquente la petite bourgeoisie. Elle est bonne à tout faire dans une de ces maisons bourgeoises. Il est rare qu’un réalisateur marocain filme avec autant de sensualité une passion amoureuse. Il faut dire qu’il est servi par ses acteurs, Nadia Kounda, d’une beauté à vous transpercer le cœur, et Mouhcine Malzi, qui dévore sa jeune épouse des yeux. Ils sont beaux, ils sont jeunes, ils sont mariés selon les lois en vigueur et c’est pourtant l’histoire d’un amour impossible. Car leur condition sociale leur interdit d’envisager un avenir heureux.
Faouzi Bensaïdi nous raconte ce que c’est de s’aimer quand on est pauvre, quand on n’a pas de chambre à soi pour se toucher et se dire sa passion. Comme des milliers de couples marocains, Malika et Abdelkader sont contraints de vivre chez leurs parents, au milieu de leurs frères et sœurs, dans le bruit et la promiscuité. Virginia Woolf avait merveilleusement expliqué, dans «Une chambre à soi», que la question de l’espace intime est politique. Qu’il ne peut y avoir d’émancipation et encore moins d’égalité quand on ne dispose pas d’un lieu où s’extraire de la société, où échapper au regard des autres. Cette frustration, Fouazi la filme magnifiquement dans une scène où les deux amoureux mangent dans un fast-food, haut lieu d’une modernité factice.
"Comment profiter de la vie quand tu as peur?"
Dans la première partie du film, Faouzi renoue avec son amour pour le burlesque grâce au personnage d’Abdelkader, si fier de son uniforme, de son autorité, de sa brutalité même. Et puis la légèreté, au fur et à mesure, se fissure. Un voile noir recouvre les personnages et les lieux. C’est cela la fatalité de la pauvreté: un minuscule accident et la vie bascule dans l’horreur. On ne pardonne pas aux misérables de se battre pour leur dignité, il n’y a pas de place pour ceux qui ne supportent pas d’être humilié.
« Volubilis » est un film qui restera tant il raconte avec acuité et passion à quel point la violence structure les relations sociales au Maroc. Dans ce pays où les inégalités ne cessent de se creuser, les parvenus écrasent plus petits qu’eux, la justice n’est qu’un mot abstrait, l’avenir un mur contre lequel vous vous cognez le front. Le titre est emprunté à ce site archéologique romain qui se trouve à quelques kilomètres de Meknès et où les deux amoureux vont passer un dimanche. «Comment veux-tu profiter de la vie quand tu as peur? Peur de perdre un travail, peur d’avoir faim, peur qu’on te coupe le courant», demande la jeune Malika.
« Volubilis » n’est pas un film misérabiliste car il raconte un combat, pour ne pas céder, pour défendre ces droits, pour vivre dans la dignité. Il n’est pas un film démonstratif et ce sont dans ses interstices que l’on percevra la finesse de son récit. Le film ne cesse de célébrer la force de l’amour, de l’amitié, des solidarités. Mais il dit surtout la disparition d’un monde ancien et l’émergence d’un nouveau, où l’individu est broyé.
Leïla Slimani