En développant une question déjà dépassée, « Doubles vies » est une comédie légère qui accumule les paradoxes. Comment exprimer la perte de repères de notre civilisation autrement qu’en se situant dans l’édition, pour Assayas, brillant scénariste et dialoguiste, qui s’appuie sur une direction d’acteur précise et un sens de l’image talentueux, rehaussé par des choix musicaux pertinents. Malheureusement, en exceptant le dernier quart d’heure, le film prend l’apparence du théâtre filmé, laissant les deux dernières qualités citées au placard. Curieusement, en voulant faire moderne (une obsession assez récurrente du cinéaste), le sujet est daté. Parfois de manière volontaire, comme ce débat dépassé et hors sujet sur internet, alors que le présent se déroule plutôt sur Smartphone, ce que chacun tente d’évacuer. En mettant ainsi en exergue ce microcosme d’intellectuels parisien, prompt à pontifier sur une réalité que leur nombrilisme ramène à un pur exercice narcissique, le cinéaste se perd dans des dialogues souvent trop longs. Il passe ainsi complètement à côté de deux sujets fondamentaux. Le premier, volontairement non traité, est l’incapacité de la plupart des ados de se concentrer plus de neuf secondes sur de l’écrit à cause des premiers dérivés (tweets, slogans, hyper développement du visuel et du sonore) de l’ère numérique. Ce choix assumé peut se comprendre. Par contre, en ne parvenant pas à montrer le monde de l’édition tel qu’il est devenu, il coupe la portée du film, l’enfermant dans un instantané du début du siècle à usage de bobos qui se croient progressistes. De même, habilement, l’absence de repères est caractérisée de manière aussi cynique que pertinente, par la vacance des valeurs morales, malgré les prêchiprêchas intellectuels. Un seul objectif : vendre. Gagner de l’argent devient le seul but. Mais cette ironie glaçante, peu amusante de surcroit, fait l’impasse sur la régression vers le religieux d’une part, et le risque du « Big Data » à peine effleuré, d’autre part. Ce Woody Allen sans les bons mots ni les gags, distille un certain ennui, peu aidé par Guillaume Canet limite jeu à tic, et Vincent Macaigne qui en fait des tonnes. Néanmoins, « Doubles vies » vaut par son casting féminin. Juliette Binoche est à la fois légère et grave, subtile et intelligente. Comme toujours. Mais c’est la trop rare Nora Hamzawi qui offre une prestation géniale pour le seul personnage réaliste de cette histoire. De plus elle nous apporte un beau moment d’émotion « réel » à la fin du film. Le seul.