Au-delà du fait que tout le monde trompe tout le monde à l’exception de Valérie (Nora Hamzawi) et que l’essentiel des repas entre amis se dégustent sur les genoux, « Doubles vies » questionnent sur les nouvelles technologies dans le monde de l’édition, plus précisément le numérique et apparemment de son éthique. Un film qui permet de semer le doute pour certains quand d’autres y voient un avenir avec lequel il faut nécessairement composer pour rester vivant dans le monde de l’entreprise. Et le monde de l’édition repose sur des fondations quelques peu fissurées. Les interrogations, les doutes, le « c’était-mieux-avant » se confrontent aux certitudes, à la mondialisation numérique synonyme de progrès, de réductions des coûts en amont, pour gagner plus en aval ! Si le monde de l’édition est le fil rouge du film, les séries, la politique, le droit au respect de la vie privée, l’éthique de l’écrivain, les fausses rumeurs, c'est-dire les fake-news, sont abordés dans cette révolution numérique. Un brassage de thèmes qui fait écho dans notre monde actuel. Un film très écrit où les arguments et contre-arguments se valent. Ainsi le réalisateur laisse le soin au spectateur de se faire une opinion ; tout ce bavardage parfois un peu pompeux, tout ce babillage qui aurait tendance à enfoncer parfois des portes ouvertes, flirtant avec le cliché, a le mérite de préserver une part d’objectivité. On peut légitimement être perturbé quand on envisage l’algorithme comme un repère commercial infaillible ; on peut tour à tour danser entre le « c’était-mieux-avant » et « faut-vivre-avec-son-temps ». Selon les thèmes qui touchent à notre sensibilité, à nos envies, à nos besoins, nous pouvons adhérer au pour et au contre sans pour autant se contredire ! On peut toujours dire que les personnages aiment à s’écouter parler, c’est un peu vrai, mais aussi étrange que cela puisse paraître, cela ne m’a pas dérangé ; on est dans un autre monde, à l’opposé des « Invisibles ». Ça n’en fait pas des personnages antipathiques. Beaucoup de champs, de contrechamps et de faux raccords comme cette dernière scène entre Valérie et Léonard (Vincent Macaigne) ; selon la prise de vue, on y voit Valérie jambes croisées, puis décroisées. Est-ce voulu ou une erreur d’inattention ? Est-ce une subtilité de mise en scène ? C’est tellement criant que je me suis posé la question au point de douter ! Tous les acteurs principaux jouent leurs partitions avec solidité et la qualité des dialogues m’a fait oublier une mise en scène quelque peu statique. Je comprends les repas sur les genoux, ils apportent du mouvement. En étant attablé, le mouvement n’est plus et la mise en scène est presque inexistante. Une vision qui n’engage que moi. A noter cette petite mise en abîme plaisante : Alain (Guillaume Canet) évoque le nom d’une star qui pourrait jouer un rôle tiré du livre de Léonard : il envisage Juliette Binoche ! Celle-là même qui interprète Séléna, sa femme. Plus que jamais, Juliette Binoche répond parfaitement au titre « Doubles Vies » ! Enfin pour la petite histoire, je préférerai toujours le livre papier au numérique. J’adore avoir l’objet dans mes mains et dans ma bibliothèque. Et c’est vrai que cela a un coût. Et pour écrire cette critique, rien de mieux que le numérique ! Voilà aussi ce que nous dit « Doubles vies », il faut savoir composer entre le pour et le contre sans remettre en question nos principes de vie.