Les films réalisés jusqu’ici par Valeria Bruni Tedeschi ne m’avaient que modérément séduit, mais, cette fois-ci, plus de réserve, mon enthousiasme n’a cessé de grandir au fur et à mesure de la projection des « Estivants ». En le voyant, il me semblait presque assister à une variation sur le sujet si superbement mis en scène par Jean Renoir dans « La Règle du Jeu » en 1939. Peut-on adresser plus beau compliment à un film ?
Comme son illustre prédécesseur, en effet, Valeria Bruni Tedeschi assume avec brio et sans se priver d’aucune liberté d’expression l’aspect théâtral de son film. Celui-ci est d’ailleurs inspiré d’une pièce de Gorki mais les personnages qui y apparaissent font irrésistiblement songer à Tchekhov. Ils parlent haut et fort, ils tonitruent, voire même chantent, comme s’ils pouvaient ainsi dissimuler leur mal de vivre. L’origine théâtrale du film est donc revendiquée : non seulement parce que celui-ci se subdivise en trois actes et un épilogue, mais aussi parce qu’apparaissent, au cours de plans fugitifs, des rangées de chaises comme pour un spectacle.
Sur ces chaises, l’on voit, une fois, tout un ensemble de spectateurs, et, les autres fois, une petite fille noire, toute seule. Cette petite fille n’est pas une simple figurante. Elle est présente tout au long du film et elle est probablement la seule, de tous les personnages, qui, avec son regard d’enfant, soit capable de s’intéresser vraiment aux autres. Valeria Bruni Tedeschi se montre, elle, semblable à ce qu’elle est réellement dans la vie, c’est-à-dire en plein processus de création d’un film, le film que nous voyons se dérouler sous nos yeux.
Pour ce faire, elle quitte Paris pour se rendre dans une villa cossue de la Côte d’Azur, après avoir laissé son compagnon Luca qui, manifestement, s’est entiché d’une autre femme. Quoi qu’il en soit, c’est dans cette grande propriété de bord de mer qu’elle retrouve tout un petit monde de proches (famille, amis) et d’employés (gouvernante, cuisinier, jardinier). On y retrouve toute une pléiade d’acteurs et actrices très doués comme Pierre Arditi en chef d’entreprise insupportable de suffisance, Noémie Lvovsky en coscénariste aux convictions de gauche ou Yolande Moreau en gouvernante révoltée.
C’est un plaisir que de voir évoluer ces personnages rongés d’égoïsme dont on a le sentiment qu’ils sont comme retranchés dans une propriété qu’il faut protéger de sangliers dévastateurs (des animaux qui n’ont peut-être pour fonction que de symboliser d’autres fantasmes menaçants, beaucoup plus humains). Tous sont à la fois dérisoires et touchants. Valeria Bruni Tedeschi les met en scène et les filme avec une énergie débordante ayant pour points d’orgue les quelques scènes chantées, lorsque se font entendre, entre autres, un lied de Schubert ou des airs de « La Flûte enchantée ». Les personnages du petit théâtre de la réalisatrice ont beau avoir tous quelque chose d’exaspérant, on ne peut s’empêcher des les aimer malgré tout.