Quand un looser médiocre file se planquer auprès de sa soeur dans un village Emmaüs en attendant d’avoir l’idée de génie qui le propulsera en orbite pour côtoyer les plus grands capitaines d’industrie de l’histoire, ça donne ‘I feel good’. C’était une évidence d’avoir (ré)embauché Yolande Moreau, ça l’était moins de recruter Jean Dujardin qui, contrairement à un Poelvoorde ou un Depardieu à la renommée équivalente, ne dégage pas grand chose de punk anar. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, la greffe prend très bien, et cette tête de winner ahuri, entre celle d’OSS117 et celle de Dupontel dans ‘Le grand soir”, est pile celle qu’il fallait pour renforcer l’ironie féroce du concept de départ, cet endroit où échouent tous les naufragés en quête d’humanité et dont Jacques Pora a décidé de faire son camp de base en vue de son irrépressible ascension vers les sommets. Pourtant, alors même qu’on a très envie de l’aimer, ‘I feel good’ patine un peu dans ses prémices, patine un peu au milieu, patine un peu vers la fin. Bien entendu, pour dénoncer les injustices et les aberrations du système, Delépine et Kervern n’ont pas abandonné leur sens de l’absurde, avec ce pur produit de Macronisme triomphant qui voit dans la chirurgie esthétique low-cost en Bulgarie la prochaine poule aux oeufs d’or de l’entrepreneuriat. Pour autant, les deux Grolandais ne sont plus tout à fait là où on les attend. Le propos est moins incisif, plus naïf : ce sont toujours les “Vrais Gens” contre le Système...mais la Lutte des classes ne passe plus par le fait de le flanquer par terre, même symboliquement, le Système...mais par la création de “bulles d’humanité” en son sein, qui fonctionnent comme la négation totale de tout ce qu’il incarne. Pour exprimer leur foi dans cette sorte de “cancer humaniste et solidaire” dont ils espèrent sans doute qu’il finira par métastaser tout le corps du capitalisme, Delépine et Kervern font preuve d’une bienveillance et d’une tendresse inattendues, dont on ressentait déjà les effets dans ‘Saint-Amour’, y compris à l’égard de leur contre-modèle : par petites touches d’humour, comme son album Panini personnel des grands entrepreneurs ou ses déclarations à côté de la plaque, Jacques Pora est plus pathétique que vraiment détestable, un peu comme si sa mégalomanie matérialiste et le différentiel entre ses bouffées de grandeur et sa réalité de recalé du système le disqualifiaient d’office pour le rôle du “méchant” et disqualifiaient d’emblée la portée du rêve libéral de réussite individuelle.