Doit-on encore présenter Paul Thomas Anderson ? Certainement l’un des plus grands réalisateurs actuellement en exercice avec Terrence Malick ou Park Chan-Wook, Paul Thomas Anderson est l’auteur génial et adulé par la critique à l’origine de monuments comme There Will Be Blood ou Phantom Thread.
Après 4 ans de silence, l’américain nous revient avec Licorice Pizza ou l’histoire d’amour compliquée entre deux adolescents dans la vallée de San Fernando en 1973. L’occasion pour Paul Thomas Anderson de changer de registre et de lorgner vers le Boyhood de Richard Linklater.
Pourtant, croire que Paul Thomas Anderson se contenterait d’un décalque de son illustre compatriote serait une grave erreur. Licorice Pizza, comme une bonne partie des films de l’américain, s’intéresse à un self-made man.
Pas de Daniel Plainview ici ni même une goutte de la misanthropie de There Will Be Blood. Licorice Pizza est un film solaire, plein d’espoir et débordant d’une vitalité adolescente qui fait plaisir à voir.
On y rencontre le jeune Gary Valentine, 15 ans, maître es débrouilles et tchatcheur de première. Alors qu’il patiente pour la photo de classe, il croise Alana Kane, 25 ans, qui lui propose un peigne et un miroir. C’est le début d’un dialogue en ping-pong où la séduction commence dès le premier mot.
Peu importe l’écart d’âge pour Paul Thomas Anderson puisque sa caméra ne capture qu’une chose : la jeunesse commune de ses deux héros, et leurs rêves encore en plein devenir.
Licorice Pizza va suivre le parcours de ces deux doux-dingues au cœur des années 70 où, comme d’habitude, Paul Thomas Anderson imprime son génie. La reconstitution, plus vraie que nature, ressuscite le charme et la liberté absolue de l’époque, une époque où tout est encore possible.
C’est d’ailleurs l’un des thèmes majeures du film dans lequel Gary, jeune entrepreneur et acteur en herbe, monte des combines à n’en plus finir, vendant des waterbeds comme Barry Egan collectionnait les timbres dans Punch-Drunk Love. Et comme dans Punch-Drunk Love, ce qui fait avancer les rouages de l’histoire, c’est l’amour qui se noue entre Gary et Alana.
Paul Thomas Anderson filme la difficulté et les errances de cet amour naissant et d’autant plus compliqué qu’il s’établit d’abord entre deux personnages avec dix ans d’écart. Grâce à la mise en scène de l’américain mais aussi grâce à la structure du film qui enchaîne les histoires/péripéties morceaux par morceaux, le spectateur finit par tout oublier de cette différence fondamentale et remarque tous les indices de l’histoire d’amour impossible à maîtriser. Le regard qui s’attarde ou la main qui n’ose pas, la jalousie qui prend racine ou l’inquiétude devant le drame. Et du drame, il y en aura, mais comme seuls deux adolescents de cette époque peuvent le vivre : de la chute à moto à l’arrestation pour meurtre par erreur.
Ces deux séquences donneront chacune lieu à une course, la course qui devient le motif de fond de Licorice Pizza, cette vivacité avec laquelle on court vers l’autre, avec laquelle les personnages se cherchent et se retrouvent, si symptomatique d’une époque où l’on peut monter son affaire de salle de jeux en une journée et où l’on peut se retrouver à livrer l’amant de Barbra Streisand avec un camion proche de la panne d’essence.
Traversé par un humour léger et délicieux, Licorice Pizza offre des rôles secondaires à mourir de rire, de Sean Penn en vieil acteur ronflant à Bradley Cooper en amant-coiffeur accroc au sexe.
Mais si Licorice Pizza parvient aussi facilement à toucher le cœur du spectateur et à retranscrire une époque où le prix du baril flambe et où la fin du monde n’arrive pas à détruire l’enthousiasme de la jeunesse, c’est aussi et surtout grâce aux deux acteurs principaux dirigés de main de maître par Paul Thomas Anderson. Deux acteurs au physique plutôt ordinaire et à la sincérité troublante. D’un côté Alana Haim, éclatante de jeunesse, qui parvient à gommer les années comme les embuches, de l’autre Cooper Hoffman, fils du regretté Philip Seymour Hoffman, génial beau-parleur plein d’acné et lumineux amoureux que rien n’arrête.
C’est avec ces deux phares que Licorice Pizza emporte définitivement l’adhésion du public, prenant le contrepied des anti-héros récents des films de Paul Thomas Anderson, traversant une époque où la combine est roi, où l’avenir permet encore tout à qui ose.
Le long-métrage est une déclaration d’amour à l’adolescence, capturant cette période ô combien délicieuse et particulière qui va de la première rencontre au premier baiser, montrant les erreurs et les malentendus, les jalousies et les premiers gestes doux, le respect et les rires, finissant sur cette course de l’un vers l’autre, cette course pour aimer et pour vivre qui symbolise si bien une époque révolue où l’Amérique n’était pas qu’élections, stars insipides et crédit à la consommation, où l’Amérique savait encore rêver et aimer.
À nouveau, Paul Thomas Anderson séduit et surprend. Envolée la noirceur de ses précédents métrages et le héros misanthrope, avec Licorice Pizza, c’est un cinéma de fougue, d’amour et d’espoir qui s’offre au spectateur. Léger comme un waterbed, drôle et doucement sucré sur le palais, le film regarde l’adolescence avec espérance et amour, capturant l’infinité des possibles et la fouge de la jeunesse à l’image de ses héros qui se cherchent et se perdent…pour mieux se retrouver.