L’événement de ce début d’année nous rassemble du côté de chez Paul Thomas Anderson (Boogie Nights, Magnolia, There Will Be Blood) et sa banlieue natale de Los Angeles, encore. Pas question de l’attendre dans un vertige froid, mais dont la précision aura porté la fin de carrière de Daniel Day-Lewis dans « Phantom Thread ». Ce qui pourrait succéder au conte fantasque de Tatantino à Hollywood tient avant tout d’une anecdote et d’un souvenir. La démarche de la narration suivra ce concept naïf, mais qui laisse une grande liberté au cinéaste, qui n’aura plus qu’à faire graviter ses personnages autour d’une spirale relationnelle et sociétale, dont il a déjà prouvé la pertinence et les limites. Cette fois-ci, il confronte deux aimants, qui n'héritent pas de la meilleure polarité. Et lorsqu’on les rapproche suffisamment, une étrange sensation de magnétisme s’installe, comme s’il fallait isoler les mauvaises ondes, pour ne laisser que la fièvre de l’adolescence s’exprimer d’elle-même.
Mais l’avenir sourit à ceux qui osent. C’est le mot d’ordre dans cette vallée de San Fernando, qui vit d’un opportunisme éphémère. C’est dans cette même optique que le lycéen de 15 ans, Gary Valentine (Cooper Hoffman), fit la rencontre d’Alana Kane (Alana Haim), assistante photographe qui compte dix bougies de plus que son auto-attitré prince charmant. Candide jusqu’au bout de la fantaisie, Gary possède un certain charme qui rappelle les motifs des teenage movies, mais avec un ton plus bluffeur et le réalisateur canalise parfaitement les impulsions du personnage, pour qui le véritable défi de son existence reste de préserver son cœur pour la rayonnante Alana. Cela a commencé avec une pirouette autobiographique, à l’occasion d’une photo de classe et on y reviendra constamment, à cette demande, qui suscite de plus en plus d’intérêt au fur et à mesure que les protagonistes surclassent les obstacles, tantôt attendus, tantôt farfelus. La mentalité est donc sous le joug de l’âge, qui contraint à rendre cet amour ou cette relation impossible. Et c’est à cela que l’on reconnaît le fil fantôme du cinéaste, qu’importe dans quel sens on le tire, les deux êtres opteront pour ce repère, pourvu qu’ils soient intimement liés.
Et bien que le sous-texte politique trouve de l’écho jusqu’à nos jours, c’est qu’il y existe bien une transition manquée ou bien un rétropédalage plus regrettable. De l’arrestation arbitraire à l’ombre de la famille Manson, le film ne cesse d’être transparent sur une époque, qui a laissé les Etats-Unis sous Nixon dans une crise de confiance, et donc dans le déclin de sa jeunesse, la seule fortune qui contribue au visage d’une nation qui brasse les cultures sans le vent. La faute à qui ? Personne n’est innocent ou à l’écart d’un vice, mais ce sont bien les adultes qui témoigneront de cette amertume, notamment avec un Bradley Cooper excentrique et dans un déni profond, tandis que Sean Penn arrive au bout de son rodéo. Ajoutons à cela Benny Safdie, dans le rôle d’un politicien maladroit dans ses convictions, et nous avons là toute une gamme de fractures sociales que les héros subissent, malgré le manque de fuel ou un manque de sincérité.
La balade de Paul Thomas Anderson est sans doute à contre-courant de ce qu’il a accompli, mais il revigore un peu plus ce genre de récit, qui serait rapidement tombé dans l’oubli dans les mains de quelqu’un d’autre. L’adolescence est une quête intérieure avant tout, qui passe de la rêverie à la désillusion, puis de la confrontation à la réconciliation et c’est ce que nous raconte le Californien, allongé sur son matelas à eau. En misant sur son entourage et des visages familiers, « Licorice Pizza » rappelle le « Roma » de Cuarón, avec une fibre surréaliste, propulsant Gary et Alana dans un décor qui reflète le même testament des années 70, dans un geste personnel.