Quentin Tarantino est désormais probablement le seul cinéaste dont chaque nouveau film est un tel événement, « Once Upon a Time... in Hollywood » ne dérogeant pas à la règle. Période, contexte historique, casting, promotion, bande-annonce... Tout avait été soigneusement réuni pour que les amateurs de cinéma soient surexcités à l'idée de cette sortie nationale. Pourtant, le résultat a (légèrement) divisé, repartant même bredouille de Cannes où le jury a préféré récompenser pour la mise en scène... les frères Dardenne (on ne rit pas). D'ailleurs, j'ai moi-même mis un peu de temps pour savoir si celui-ci m'avait vraiment plu. Il est vrai que QT brouille, comme souvent, les pistes, n'offrant pas exactement ce que l'on pouvait attendre d'un tel projet. Cela peut déconcerter, voire décevoir certains, mais c'est aussi tout à son honneur de proposer une œuvre inattendue, notamment dans son déroulement. Vous dire que j'ai tout adoré serait toutefois mentir : parfois, le réalisateur se complaît un peu dans la lenteur et sa virtuosité, si bien qu'on se demande ce qu'il a pu se passer durant ces longues minutes. Je pense notamment à toute la partie touchant
le tournage du western
: certes, ce qu'il fait avec la caméra est assez prodigieux, mais on se demande quand même où il veut en venir, si ce n'est cette mise en abyme poussée, pour le coup, vraiment très loin. N'empêche, quel esthète exceptionnel. Se plonger avec lui dans les 60's est un délice de pratiquement tous les instants. Je me suis régalé comme rarement devant cette reconstitution incroyable, ces décors, ces couleurs, la passion du cinéma transpirant à tous les plans, notamment à travers toutes ces salles et le nombre d'affiches proprement hallucinant : elles mériteraient d'être comptées tant elles apportent un charme incommensurable à l'entreprise. L'auteur de « Pulp Fiction » n'a également pas son pareil pour offrir des personnages inoubliables, mélangeant joyeusement rôles fictifs et réels, quitte à ne les faire apparaître qu'un instant
(Steve McQueen, les membres des Mamas and Papas, un peu plus longuement Bruce Lee, pour ne citer qu'eux)
, donnant à cet univers beaucoup de personnalité, crédible, cohérent tout en faisant fi du réalisme, quitte à prendre un grand nombre de libertés, voire à réécrire allègrement les événements de l'époque. Beaucoup de séquences mémorables, dues aussi bien à la mise en scène, l'écriture que l'incroyable talent de Tarantino pour créer des scènes
(le trajet en voiture de Roman Polanski et Sharon Tate sur « Hush » de Deep Purple : un régal)
, des situations jubilatoires :
le combat entre Cliff Booth et Lee, la « visite » de ce même Booth dans le Ranch Spahn, virant presque au film d'horreur par son ambiance et sa tension impressionnante.
Sans oublier, bien sûr, l'hallucinante séquence finale, où Tarantino se lâche complètement dans un summum de violence proprement ahurissant,
humiliant littéralement les membres de la « famille » Manson pour en faire des bouffons à peine convaincus de leurs motivations
: magistral. Et ce avant de conclure sur une note beaucoup plus douce : le cinéma
ayant le pouvoir de réécrire l'Histoire (comme dans « Inglourious Basterds »)
, notamment dans ses moments les plus tragiques. Bande-originale de qualité, à défaut d'être la plus marquante de son auteur. Enfin, niveau casting, il est presque aussi fantasmatique que ceux qu'Hollywood pouvait proposer à l'époque : Leonardo DiCaprio, magistral après quatre ans d'absence, Brad Pitt, charismatique à souhait
(à qui l'irrésistible chienne Brandy ferait toutefois presque de l'ombre!)
, Margot Robbie, dont on pouvait néanmoins attendre un peu plus, l'étourdissante Margaret Qualley, ou encore Al Pacino ou Kurt Russell en seconds rôles de (très grand) luxe. Donc oui, je comprends les réserves, qu'on ne se soit pas retrouvé dans certains choix d'écriture insolites. Mais l'essentiel est ailleurs : une claque visuelle comme on reçoit une ou deux par an (grand maximum!), du cinéma avec un grand C, un monde dans lequel j'ai souvent adoré me perdre, régulièrement fasciné par les figures croisées, regrettant presque que certaines n'aient pas réellement existé... « Once Upon a Time... in Hollywood », ou le septième art rêvé par Quentin Tarantino.