Le titre annonce la couleur : nous sommes dans un western spaghetti sur fond de satire de l’industrie hollywoodienne. Le présentatif « il était » rappelle bien entendu les œuvres de Sergio Leone, mais connote plus largement un rapprochement avec la structure du conte. Inutile de préciser pourtant qu’en connaissant le conteur en charge du récit, la morale ne sera guère au rendez-vous. Ce Los Angeles fantasmé où scintillent Cadillac et lunettes de soleil, où grouille tout un monde en chemise fleurie et short moulant, ce lieu qui cristallise les espoirs et les attentes, ne semble vivre que par et pour le cinéma. Ce faisant, Quentin Tarantino reconstruit une carte postale, donne chair et carrosserie à une bulle libertaire qui, à l’heure des grands procès et du politiquement correct, réjouit. Vaste parc d’attractions dont le thème n’est autre que la cinéphilie si particulière – puisque remplie de cinéma bis – de son réalisateur, le film n’hésite pas à mettre sur le devant de la scène des œuvres méconnues ou invisibles, bouleversant ainsi la hiérarchie instaurée par la réception critique et l’oubli provoqué par le temps qui passe. Là se tient le principal intérêt du long-métrage : explorer une frange de l'industrie hollywoodienne jusqu'alors peu représentée avec, comme principal véhicule, le burlesque parodique. Pourtant, si la passion pour les métrages ainsi revisités est flagrante, la transmettre à un spectateur forcément extérieur au système de connivences culturelles et référentielles n’est pas sans provoquer une certaine lassitude, la faute à un excès de transmission qui sature l’acte même de transmettre. Trop de clins d’œil, trop de reprises, trop de musiques engendrent une image saturée, à la fois idéale pour immerger le spectateur dans la frénésie de ces années et néanmoins rugueuse, dans laquelle ce dernier peine à trouver une place. En sortant d’Once Upon a Time in… Hollywood, nous nous demandons pour qui ce film a été réalisé : Tarantino a-t-il envisagé son geste artistique comme le partage d’une rêverie ou, au contraire, comme un défi égotique lancé à Hollywood tout entier ainsi qu’à ses fidèles groupies ? Qu'en restera-t-il dans les semaines, dans les mois, dans les années à venir ? À l’heure où germe la restauration d’œuvres introuvables ou oubliées, cette déclaration d’amour s’ajoute aux nombreuses autres adaptations nostalgiques d’un âge d’or, qu’il s’agisse de L’Amour est une fête, d’Un Couteau dans le cœur ou des rééditions dirigées par Nicolas Winding Refn. Alors le film de Quentin Tarantino est un film de grande qualité, certes, mené avec élégance et interprété avec talent. Un film au crescendo dramatique magnifique, offrant une dernière heure magistrale. Mais un film dispensable qui se déploie sur plus de deux heures quarante pour, à terme, apporter si peu. La mise en scène cherche la fulgurance au détriment du sens, livre de beaux plans, de belles images empruntés à droite à gauche ; la charpente du récit manque, quant à elle, de virtuosité en sautant d’ellipses en raccords volontairement brutaux. C’est dire que l’ensemble dispose d’un savoir-faire indéniable et assure le divertissement ; c’est dire aussi qu’il peine à s’élever au-dessus de l’hommage – sincère, aucun doute sur cela. Notons enfin que la fascination pour les pieds trouve ici son point de non-retour, au-delà duquel contempler nos chaussures dans les transports en commun équivaudra à la signature d’un grand auteur. Mené à vive allure, Once Upon a Time in… Hollywood est un conte autant formidable que saturé d’effets, enfermé dans une signification fixe qui empêche le spectateur d’y engouffrer sa sensibilité propre. Suivre Brad Pitt au volant d’une Cadillac lancée à toute vitesse suffisait à figurer l’ivresse d’un âge hollywoodien où liberté rimait avec créativité. Un paradis perdu, en somme, pour un film qui se perd parfois en route et, parce qu’il se revendique conservatoire d’une mémoire cinéphilique inépuisable, échoue à s’inscrire lui-même dans un conservatoire apte à en entretenir la mémoire.