Film d’ouverture du Festival Christopher Nolan, Memento fait pourtant résonance à ses œuvres d’authentique jeunesse. Il y film, à en subjuguer l’ardeur, des êtres rongés par la labyrinthique présence de l’existence, alors que la vie seule, aurait suffis. Vie et existence se combattent, au sein d’une identité visuelle déjà très prononcée. Pareil à une prose cherchant le vers, les être de Nolan, cherchent la vie dans l’existence et l’existence dans la vie ; des regards égoïstes et Narcisses sans le savoir, filmés en légère contre-plongée, positionnés tels des penseurs de Rodin, tentant de se souvenir de la pose initiale.
Doodelbug et Following. Ses premières œuvres : une cosmicité naissante, une impressionnante sérénité dans le cadrage, commençaient déjà à jouer à ce jeu de séduction abyssale, avec l’égoïsme rationnel des êtres cherchant la vérité, dans un monde existant seulement bel et bien hors de cette raison. Ainsi naquit Memento, premier mastodonte métaphorique, ou quand la prose se prend les pieds dans la poésie qu’elle ne désire que pour elle, une écriture brillantissime et un montage audacieux, parviennent à dompter une lourdeur métaphysique, qui n’échappe cependant pas à la maladresse.
Ce défaut prétentieux, dirige le propos à la limite de l’indigeste. Mais le narcissisme est une si belle peinture chez ce cinéma naissant. On ne peut donc que la laisser nous faire franchir cette barrière. Et la découverte se révèle stupéfiante. Le Narcisse que dirige Nolan, souffre d’un grave trouble de la mémoire, et ne peut échapper au fait qu’en cherchant la vérité et donc réparation, il découvrira également, la nature profonde de son identité. Car Il y a être dans le monde, et il y a l’identité qui elle reste identique à soi-même dans le monde. Cette recherche, ce phénoménalise de deux manières ; alternant les séquences de couleurs, et de noir et blanc, par une perspective chronologique étant sensée se rejoindre à la fin du film, correspondant au milieu de l’histoire. Les premières sont le potentiel mémoriel du personnage défilant dans le sens inverse du récit. Les secondes, le cercle narratif normal et filmé en huis-clos dans une chambre d’hôtel.
Le film se montre redoutablement intelligent. Combattant cette lourdeur volontaire, et cette « auto-narcissisation », avec un plaisir faisant place à une certaine légèreté, subtilité. Le personnage ne restant indifférent à ses retors de conscience se voulant cartésienne, jamais il n’échappe à cette obsession de réparation, d’ordre, de « mêmeté », et ce contre le principe même de vérité. La fausseté et le mensonge, son état psychique ne peut l’en protéger. L’illusion le gagne peu à peu. Son identité, devient alors, et ce contre tout ce qui l’espérait, le bien le plus précieux : il se rend compte, qu’elle ne lui appartient pas. Elle n’est pas sienne, parce que l’identité est en réalité, un mouvement par lequel, nous nous retrouvons dans un monde qui existe en dehors de nous. La vérité conduit au solipsisme, précisément parce qu’en la cherchant, nous la trompons pour cet ordre et cette « mêmeté », cette prétentieuse logique. L’identité ne construit pas dans la mémoire, c’est-à-dire, dans la possession de souvenir, de quelque chose précédent votre être présent, la non-cessation d’être dans ce monde, comme nous le propose la pensée d’Heidegger. L’identité s’échafaude dans l’acte de remémoration. Dans le fait même de se remémorer. Car la mémoire que nous le voulions ou non, est un acte de visée de la vérité, et ce parce qu’elle tente toujours de synthétiser plusieurs perspectives. Le montage narratif, ne laisse jamais le héros hors de cette ellipse. Il retrouve sans cesse, récupère à chaque fois, recommence devant les autres personnages. Son calvaire est sans fin, parce que l’être et l’identité, le fait d’être identique à soi-même dans un monde existant en dehors de soi, ne peuvent se confondre et se rejoindre. Ou comme disait le poète allemand F. Hölderlin : « Nous ne sommes rien, ce que nous cherchons est tout ».
Plastiquement, la forte identité visuelle du film repose sur la solitude du héros. Nous sommes rendus tout aussi seuls. Et ce parce qu’il nous est impossible de voir plus loin que lui. L’accompagnement, ou l’altruisme sont également remis à leur véritable valeur. Nous sommes vraiment seuls. Identique à nous-mêmes. Irréductibles à l’autre lorsque nous ne cachons rien, pas même une longueur d’avance dans la mémoire. Le montage et l’image nous montrent très peu d’éléments. Nous sommes sans cesse surpris, bousculés par une insoupçonnable envie de chercher dans le cadre, ce que celui-ci nous nargues subtilement. La luminosité est très artificielle, rendue aussi orpheline que l’est la créature de son créateur. Elle est celle de sa mémoire. Trouble, superflue et évanescente. Une certaine forme de poésie s’extirpe de cette condition solitaire. Elle a le mérite de saisir les plans, dans la dynamique architecturale du scénario.
Voguant ainsi entre la spontanéité de la jeunesse, et le mensonger malin d’une maturité excitante et habile, l’œuvre se défait peu à peu de sa métaphysique des principes, pour construire un véritable conte. Telle que l’identité est promesse faite à l’être de toujours reposer dans le monde, Memento est l’avant-goût assuré d’un formidable raconteur. Et la promesse, sera celle d’une histoire ayant, par-delà la métaphore, créé l’épreuve que des Narcisses aussi littéraire que pop-moderne, devront subirent au plus profond de son écriture.
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