Alors là il va falloir qu'on m'explique le projet...
...Sérieusement.
Petite séance de rattrapage pour celles et ceux qui en auraient besoin : « Downton Abbey » est une série sortie en 2011 et conclue en 2016 qui ratraçait le quotidien d'une famille de nobles ainsi que celui de leurs serviteurs au cours des années 1910 et 1920.
Avant que ce film ne sorte, cette série comptait déjà 52 épisodes qui duraient de 45 à 65 minutes, parmi lesquels on pouvait distinguer à la fin de chaque saison un épisode "spécial Noël" dont la durée s'étalait quant-à-lui une bonne heure et demie.
Et alors qu'en 2016 tout semblait bouclé tant plus rien n'avançait voilà donc que, trois ans plus tard, déboule ce film sans qu'on sache vraiment dans quel but.
(Enfin si : on sait dans quel but, mais laissez-moi encore faire le naïf quelques paragraphes voulez-vous...)
Faire un film tiré d'une série est toujours délicat.
L'objectif est-il de proposer une continuation directe de l'intrigue de l’œuvre originale - avec pour conséquence directe celle de se fermer totalement aux néophytes - ou bien est-il au contraire question d'offrir un spectacle qui sache se voir de manière autonome, au risque de ne pas apporter grand-chose de satisfaisant aux connaisseurs de la série ?
Eh bien avec ce « Downton Abbey » cuvée 2019, Julian Fellowes - scénariste du film et créateur de la série - tranche très rapidement la question et annonce la couleur : désolé pour les non-initiés mais on entend ici ne s'adresser qu'aux habitués !
Parce que même s'il est vrai que le cœur d'intrigue reste en soi accessible à tous (en même temps difficile d'être largué par une histoire aussi basique que "le domaine de Downton se doit de recevoir la reine et le roi et il va falloir assurer"), il n'empêche que malgré tout, dans les faits, l'essentiel de ce qui se passe à l'écran tient en une multitude de conversations entre des personnages que le film se gardera bien de présenter.
...Or je doute qu'on puisse tirer un quelconque intérêt à ce long défilé si on ne connaît rien de l'identité et du parcours de chacun.
Alors après tout "pourquoi pas", pourrait-on se dire.
Au moins les fans vont-ils échapper à un produit bâtard qui n'aurait satisfait personne...
...Sauf que, dans la pratique, qu'est-ce qu'il offre vraiment aux connaisseurs de la série, ce film ?
Prenons la peine de bien tout prendre et listons ce qui nous est concrètement offert.
D'abord beaucoup de défilés, des réceptions et des bals... (Bon soit, ça c'est un peu la base, bref passons.)
Une intrigue à base de querelle d'héritage entre mamie Violet et une cousine jusqu'alors inconnue. (Eurf... Mouais.)
Côté cuisine, les domestiques de Downton mènent une fronde contre le service royal qui les met de côté lors de ce grand moment. (Ouah quelle cause... #JesuisDownton)
Et enfin et surtout le grand clou du spectacle - le summum de l'action ! - autour duquel tout le suspense de tout le début de ce film se construit...
Une tentative d'attentat contre le roi... (...lequel est d'ailleurs plié au milieu du film et on en reparlera plus.)
Tout ça fait quand-même vachement frugal pour un film de presque DEUX HEURES.
...Et franchement, quand je dis "frugal", en fait je suis vraiment très gentil, parce que concrètement il ne se passe foutrement RIEN durant toute la durée de ce long-métrage.
Alors du coup, moi, face à un spectacle aussi vide de sens et de contenu, je ne peux que poser ces deux questions : à quoi bon cette rallonge à la série et surtout pourquoi sortir ça au cinéma ?
Parce que tout d'abord, qu'on me permette d'émettre des doutes sur l'intérêt d'une reprise de « Downton Abbey » !
Car si on prend la peine de se remémorer la derrière saison par laquelle se clôturait la série, on était tout de même en droit de considérer que l'univers et les persos avaient déjà été tous usés jusqu'à la corde (ce que ce vaste courant d'air de deux heures ne fait que confirmer par ailleurs).
Et puis quand bien même auraient-ils voulu conclure convenablement cette série que le format télé de base l'aurait totalement permis...
...Après tout n'existait-il pas déjà six épisodes "Spécial Noël" d'une heure-et-demie chacun ?
...Alors pourquoi le cinéma ?
Juste pour le plaisir d'avoir une photo un peu plus subtile et de jouer plus ostensiblement d'effets à la courte focale ?
Mais bien sûr que non voyons !
Tout ça c'est juste pour une seule et unique raison : c'est pour le POGNON !
(Fin des paragraphes naïfs.)
Bah oui tu m'étonnes !
En même temps pourquoi se priver ?
Les fans de fresques monarchistes ce sont les premiers à acheter des mugs Lady Di par milliers, alors si on leur propose de payer un ticket à dix balles juste pour mater sur grand écran ce qu'ils ont déjà vu sur petit, alors tu penses bien qu'ils vont tous se jeter dessus sans poser de question pardi !
Ah ça ! Mais c'est impressionnant comment ce film pue le prétexte !
Non seulement il n'a vraiment rien à offrir la plupart du temps si bien qu'il réussit l'exploit d'être encore plus vain que les derniers épisodes de la série, mais en plus de ça, ce qu'il offre au final en guise de cadeau de consolation ne se limite vraiment qu'à de pures pastilles de fan service !
Tom était le seul de la bande qui n'avait pas encore (re)trouvé l'amour ? Eh bien soit, on lui sort une nana sortie de nulle part avec un joli minois et un bel héritage et voilà qui est réglé !
Et vas-y que je te conclus tout ça avec le petit moment émotion de Lady Violet qui annonce qu'elle va bientôt passer l'arme à gauche et qu'elle transmet le flambeau à Mary !
Rajoutons enfin à tout ça un nouveau marmot pour Edith et c'est réglé !
Un petit nœud sur le paquet et repars avec ça !
C'est juste tellement facile. Clientéliste. Et surtout c'est tellement faible...
Au final ce film est tellement bancal et écrit par-dessus la jambe qu'il est pratiquement impossible de garder un souvenir global et cohérent de l'ensemble.
Repas royal, Tom en mode courrier-du-coeur, fronde des domestiques, escapade nocturne de Barrow : rien ne fait corps.
Tout ça n'est qu'un patchwork foutraque qui peut encore faire sens au sein d'une série mais qui, dans le cadre d'un film, ne ressemble juste à RIEN.
Inutile et décevant pour les connaisseurs, vain et passablement ridicule pour les profanes : ce film m'apparait vraiment comme un échec sur tous les plans.
Enfin, sur tous les plans...
...Quand on voit que le film a fait 200 millions de dollars de recette quand il n'en a coûté que le dixième, moi je dis qu'il y en a quand même quelques uns qui ont bien rentabilisé leur affaire et qui du coup pourront refaire les combles de leur château lors du prochain hiver !
Alors bravo à Julian Fellowes et à Carnival Films, parce qu'au final s'il n'y en a bien qui sauront trouver satisfaction dans ce film-là, c'est bien eux...