Après avoir dénoncé les dérives médiatiques de l'information dans "Night Call", Dan Gilroy retrouve le duo Jake Gyllenhaal/Rene Russo pour s'attaquer au monde de l'art contemporain et, vu la qualité de la première collaboration de tout ce petit monde, autant dire qu'on était plutôt impatient de les retrouver...
À cause de la découverte d'une série de toiles empreintes -littéralement- de l'âme d'un artiste anonyme et torturé, l'ensemble du microcosme faisant la pluie et le beau temps sur le milieu artistique de L.A. va se retrouver confronter au rôle caricatural qu'il en est venu plus ou moins consciemment à y jouer. Un critique vampirisé par les jugements péremptoires qu'implique son métier, une directrice de galerie ne jurant plus que par la valeur pécuniaire de ses talents et bien d'autres personnages à l'intérêt très variable (des concurrents de la deuxième, une arriviste à l'origine de la trouvaille des tableaux, un artiste bien installé dans le milieu mais en panne d'inspiration, un autre jeune et en pleine ascension, etc) vont tous faire les frais de la malédiction de ces toiles pendant un peu moins de deux heures de long-métrage et... voilà. On ne peut hélas résumer "Velvet Buzzsaw" qu'à ça, une myriade de personnages se rendant compte, grâce à un phénomène surnaturel, de la superficialité dans laquelle ils se sont eux-mêmes enfermés.
La plupart en sont si imprégnés qu'ils passent directement par la case exécution (les premières victimes), certains en pleine remise en cause par la vision de ces tableaux sont torturés par l'image qu'il renvoie avant que la lame de la guillotine s'abatte sur eux et d'autres ont une chance de survivre s'ils choisissent de revenir à une forme d'art plus pur.
Devant un film qui entend dénoncer un milieu que tout le monde sait caricatural par essence, on se met rapidement à attendre toujours plus qu'un propos aussi simpliste et vite exposé mais non, Dan Gilroy se contente de cette seule rencontre boiteuse entre l'humour et l'horreur faisant office de statu quo à toutes autres ramifications scénaristiques.
Sur le terrain de la satire, "Velvet Buzssaw" fonctionne heureusement à plein régime et offre ses meilleurs sourires (la déformation professionnelle du critique sur tout ce qui l'entoure est très drôle) mais il donne sans cesse l'impression d'enfoncer des portes ouvertes moqueuses d'un monde dont on connaît déjà tous les contours sans même forcément le fréquenter, sans compter que le film se disperse beaucoup trop sur des personnages qui ne font figure que de doublons encore plus "maléfiques" aux principaux pour mieux se faire assassiner en premier. D'ailleurs, du point de vue de l'intrusion de l'horreur dans cette histoire, les scènes de meurtres ont beau être l'occasion de jolies saillies sanglantes et graphiques (les dernières notamment), elles trahissent également un cinéaste qui n'a pas l'air à son aise sur ce registre en donnant le sentiment de vignettes situées en dehors de l'ensemble et qui usent finalement de ressorts très classiques au-delà de l'utilisation meurtrière d'oeuvres artistiques. De même du côté de l'enquête sur le background de l'artiste maudit, le fait qu'elle n'ait nullement pour vocation d'être utile à la résolution du problème surnaturel comme dans un film d'épouvante lambda trahit un peu plus le côté artificiel de cette sous-intrigue, juste présente pour valider la menace et cette opposition entre la véritable portée de la dimension artistique face à un petit nombre l'ayant unilatéralement dévoyée.
Avec la dernière scène, Gilroy renverra bien entendu à ce que devrait être l'art une fois sortie des mains d'un apparatchik s'étant octroyé les normes du bon goût, une offre universelle pour réveiller et parler à la sensibilité de chacun mais cette idée était apparue si évidente dès les premiers instants que le chemin parcouru pour en arriver là laisse une impression de futilité complète.
"Velvet Buzzsaw" est pourtant loin d'être un mauvais film. Bien réalisé, plutôt drôle et doté évidemment d'un casting talentueux, ce nouveau long-métrage de Dan Gilroy se regarde sans mal mais, face au choc qu'avait pu représenté l'intelligence de dénonciation d'un "Night Call", il représente un véritable coup d'épée dans l'eau en devenant, au final, un petit film inoffensif et aussi artificiel que le milieu auquel il s'attaque à cause d'une mécanique trop simpliste. Dommage, vraiment... À coup sûr, Morf Vandewalt n'aurait pas épargné "Velvet Buzzsaw" avec son ton acerbe.