Le capitalisme est à la fois un fléau et un fantasme aux Etats-Unis. Le multitâche Boots Riley, rappeur, producteur, parfois acteur et à présent réalisateur, s’est créé un concept, voire un délire pour son premier long-métrage qui ne passe pas inaperçu. On ne fait pas seulement l’impasse sur une comédie, car on nous démontre en quoi le système capitaliste entrave les ambitions de marginaux, sans talents et conditionnés à le rester. Boots n’est pas forcément subtile sur tous les points, mais il finit par savoir comme suggérer le rapport de puissance dans une hiérarchie très verticale. De plus, en créant cette barrière satirique, il parvient à développer une certaine hypocrisie venant du peuple, confirmant ainsi un statut plus neutre au lieu d’adouber l’une des causes.
On expose brièvement les faits, sur un ton absurde et décalé. Le monde est transposé à travers un travail guidé par une voix, celle d’un opérateur qui cherche à influencer, voire à acheter. Mais le client est lui-même le produit de ce traquenard, à la fois médiatique et corporatif. La société de télémarketing mise en avant exposer ainsi une première problématique liée au racisme, racontée par des marginaux de couleur. En usant d’une certaine hypocrisie, en poussant les curseurs à fond sur « se mettre dans la peau du client pour mieux l’acheter », on note une cohérence dans les faits. Ce travail dépersonnifie et encourage à suivre les règles. Ce n’est pas un monde d’artiste, mais ce seront bien ceux qui trouveront le juste milieu qui pourront s’élever dans le valhalla et la richesse. Et au fur et à mesure que le personnage vedette avance, il sombre dans l’esclavage et rejoint le bétail de cette institution mal intentionnée.
En effet, Cassius Green (Lakeith Stanfield) correspond à cet émissaire, venant tâter le gras dans chaque camp. Nouveau riche, il appréhende la démarche de ses supérieurs, que l’on ne nommera pas. Cependant, le personnage d’Armie Hammer dégage cette folie et incarne cette force intouchable, qui tire toujours du profit là où il n’y a pas lieu d’être. Et cela s’appuie sur une mise en scène audacieuse, notamment lors des conversations téléphoniques ou autres discours qui vient du cœur. N’oublions pas qu’il s’agit d’un message intime, car Boots souhaite s’exprimer sans censure, mais avec la manière d’un « blanc » pour appeler à la révolte, face à l’injustice et les failles d’un système qui fait régresser. La petite amie, Detroit (Tessa Thompson), ne s’éloigne pas non plus de son sujet. Ornant une pancarte ou allant taguer sa colère, on ressent son désir de faire bouger les choses jusqu’à ses boucles d’oreille, à la fois loufoques et cartoonesques.
« Sorry To Bother You », comme son nom l’indique, est une réplique facile et déconcertante, lorsqu’elle est détournée pour le malheur de l’interlocuteur. Fort heureusement, ce film ne se présente pas comme tel, mais préfère nous laisser choisir et agir face à la cruauté morale et plus encore sur les pauvres. Le réalisateur prend conscience d’un « blanchiment » d’une grande ampleur, mais qu’on ne peut rectifier via les lois actuelles, car elles-mêmes sont entravées par l’aveuglement et l’abus de pouvoir. Le dénouement, furieusement ironique et complètement barré, estime que nous sommes à deux doigts d’imploser si nous embrassons un langage trop lisse et qui cherche le pardon d’entrée de jeu.