Ecrite en 1897, Cyrano de Bergerac demeure l'une des pièces de théâtre les plus populaires de la littérature française. C'est ainsi qu'elle a inspiré de nombreuses adaptations, sous la forme d'opéra, de ballet, de bande-dessinée et bien sûr de film, le plus connu étant celui de Jean-Paul Rappeneau avec Gérard Depardieu dans le rôle-titre. La particularité d'Edmond est de nous plonger dans les coulisses de la création de ce classique.
Le film est l'adaptation de la pièce de théâtre du même nom lauréate de cinq Molière en 2017. L'occasion pour son metteur en scène, Alexis Michalik, de passer derrière la caméra. Un juste retour des choses pour celui qui a longtemps porté ce projet pour en faire un film et qui s'est tourné à l'époque vers le théâtre, faute de trouver un réalisateur intéressé par son oeuvre.
Edmond est un projet que Alexis Michalik porte depuis plus de quinze ans. Le premier déclic s’est produit en 1999 lorsqu'il a vu au cinéma Shakespeare In Love dans lequel John Madden, en se basant sur des faits réels, raconte comment, grâce à une jolie muse, le jeune Shakespeare, alors criblé de dettes, retrouve l’inspiration et écrit son plus grand chef-d’oeuvre, "Roméo et Juliette". Il se rappelle :
"Je m’étais alors demandé pourquoi, en France, nous n’avions jamais fait de film similaire. Mais, c’en était alors resté à l’état de réflexion… Quelques années après, je tombe sur un dossier pédagogique dans lequel on relatait les circonstances de la « première » de Cyrano. Et là, je repense au film de Madden, me dis qu’il est incroyable que personne encore n’ait songé à raconter ce qui fut la plus grande « success story » du théâtre français, la dernière aussi, puisqu’elle a eu lieu juste avant l‘arrivée du cinématographe, où ce ne seront plus les pièces, mais les films, comme Autant en Emporte le Vent qui feront des triomphes torrentiels. J’ai donc commencé à lire tout ce qui existait sur et autour de Cyrano. Je me suis rendu compte que son auteur, Edmond Rostand n’avait que 29 ans lorsqu’il l’avait composé. Ecrire un tel chef-d’oeuvre à même pas trente ans ! J’ai été sidéré !"
Alexis Michalik a alors commencé à prendre des notes et est allé voir le producteur Alain Goldman qui l’a incité à développer un scénario. Pendant ce temps-là, ils cherchaient aussi un cinéaste, car à l’époque, Michalik ne pensait pas réaliser le film lui-même. Il poursuit : "C’était il y a environ six ans… J’avais tout juste trente ans. Nous avons eu beau nous démener, nous n’avons pas trouvé de financier pour faire ce film, jugé trop onéreux… J’étais sur le point d’abandonner, lorsque je vais à Londres. Et là, incroyablement, parmi les spectacles qui s’y donnent, il y a l’adaptation théâtrale de Shakespeare In Love ! La pièce est si merveilleuse et si merveilleusement reçue, que cela me donne l’idée de reprendre mon Edmond et de le réécrire pour le théâtre et soumettre mon idée à Alain Goldman. Comme Le Porteur d’Histoire et Le Cercle des illusionnistes n’avaient pas mal marché, ils me disent banco. Malgré le nombre important de comédiens qu’Edmond nécessite, le Théâtre du Palais Royal donne son accord pour l’accueillir… Le succès s’est avéré tel que nous avons trouvé assez vite derrière le budget pour financer le film…"
Edmond a été tourné en République Tchèque et notamment à Prague, où Alexis Michalik et son équipe ont déguisé les rues pour recréer celles du Paris de la fin du XIXème. "Architecture, brasseries, immeubles… Prague était parfaite pour ce que je voulais faire : sortir d’un Paris réaliste pour entrer dans un Paris un peu idéalisé. En cette « Belle Époque », qui est aussi celle du début de l’électricité, Paris avait quelque chose de merveilleux. Je souhaitais rendre compte de sa magie, un peu comme Jean-Pierre Jeunet avait su le faire avec le Montmartre de son Amélie Poulain. Pour cela, on a utilisé pas mal d’effets spéciaux. On a aussi trouvé à Prague le théâtre où nous avons tourné tout ce qui concerne les répétitions et les représentations de Cyrano", se rappelle Michalik.
Alexis Michalik avait repéré Thomas Solivérès en 2008, alors que le tout jeune acteur faisait du théâtre à Avignon. Le metteur en scène est alors allé le voir jouer. Il se souvient : "Un jour, alors qu’il était entre deux films, il a accepté gentiment de venir faire une « panouille » sur un de mes courts métrages, sans poser ni question ni condition. J’ai trouvé ça adorable de sa part. J’ai immédiatement pensé à lui pour le personnage d’Edmond, parce qu’il a l’âge du rôle et et que, même s’il fait juvénile, il est capable d’exprimer une grande maturité. C’est aussi un énorme bosseur. La preuve, pour passer les essais, il a appris 40 pages de texte en quinze jours ! J’en connais qui seraient arrivés en se contentant d’en savoir le quart. Lui, non seulement savait le texte à la virgule près, mais il avait potassé son Rostand comme un fou… Quand on a un comédien principal qui est à ce point au taquet, on sait que les autres vont suivre. On s’est alors fait des vraies séances de travail. Il est venu avec une maquilleuse, s’est mis une moustache, s’est plaqué les cheveux en arrière, a loué un costume et on a préparé ensemble 20 minutes d’essais. Quand il s’est présenté devant les producteurs, ces derniers qui étaient assez dubitatifs, ont dit tout de suite banco."
Pour tourner la scène de la mort de Cyrano, Alexis Michalik a choisi de quitter le théâtre pour le décor naturel du cloître d'un couvent. Le cinéaste justifie ce choix : "Comme il s’agissait de la seule scène vraiment tragique de mon histoire – qui est une comédie – c’était je crois l’unique moyen pour qu’à ce moment-là, le public soit dans la vérité de l’émotion. Qu’il ne soit plus ni au théâtre ni au cinéma, mais dans un instant de vraie vie, celle qui fait perdre toute notion de temps et de lieu, qui abolit toute idée de « jeu ». J’avais envie qu’à ce moment de la mort d’un sublime héros, les gens oublient où ils sont, qu’ils soient non plus devant un acteur, mais face à eux-mêmes."
La transformation de Thomas Solivérès en Edmond a d'abord commencé par la moustache et ensuite la coiffure, ce qui n'a pas été évident. Ce personnage perdait les cheveux tandis que le jeune comédien en a beaucoup... Ce dernier explique : "On me les a donc plaqués en arrière et on a creusé les golfes… Pour compenser son début de calvitie qui le chagrinait beaucoup, Rostand était toujours d’une élégance folle. On a donc soigné particulièrement mes costumes et mes chemises… Rostand était frêle, j’ai perdu un peu de poids pour paraitre plus fragile… J’ai regardé de nombreuses gravures de mode de la fin du XIXème, et aussi quelques films. À cette époque-là, les gens avaient plus de maintien qu’aujourd’hui. Entre le maquillage, la coiffure, la pose de la moustache et l’enfilage des vêtements (chemise, gilet, veston, etc). Devenir chaque jour Edmond me prenait pas mal de temps. C’était comme un rituel. Cela ne m’a pas pesé, au contraire. Un costume est une porte d’entrée majeure pour entrer dans la peau d’un personnage. Au théâtre ou au cinéma, l’habit fait le moine. Les transformations physiques aident aux transformations psychologiques."