Sur le papier, quand on n’est ni familière de théâtre ni connaisseuse de « Cyrano de Bergerac », ce film n’a rien pour plaire. Et pourtant, « Edmond » est un petit bijou inattendu, mis à l’écran par son créateur au théâtre, Alexis Michalik. Son film va bien au-delà du « théâtre filmé » comme on aurait pu le craindre. Il fait penser, dans son esprit, à « Shakespeare in Love », où comment montrer au cinéma la genèse d’une œuvre théâtrale mondialement connue sans rien « abimer » de la magie de l’œuvre en question. Techniquement, le film, qui dure presque deux heures, passe comme une lettre à la poste ! « Edmond » emprunte beaucoup au théâtre de boulevard : le rythme assez effréné, les personnages outranciers, les répliques qui fusent, les bons mots qui font mouche, doublé comme il se doit d’une musique légère. Visuellement, on n’est pas dans une reconstitution léchée, soignée, comme on peut en voir souvent dans les films d’époque à très gros budget. Ici, peut-être pour faire honneur au théatre, on n’est jamais très loin d’une impression de carton pâte, surtout sur les plans larges (la première image donne l’impression d’un film d’animation !). Dans sa forme, « Edmond » évite soigneusement le côté « huis-clos » qui aurait pu lui porter préjudice. Petite et charmante trouvaille de mise en scène : le cinquième acte de la première de la pièce est filmé en partie en décors naturels, comme ça, sans prévenir, pour le plaisir d’une petite respiration hors des murs du Théâtre de la Porte Saint Martin. Sans doute parce que ce film est au départ une déclaration d’amour au théâtre avant d’être autre chose, son casting est long comme mon bras. Michalik n’a pas eu besoin de beaucoup de persuasion, apparemment, pour convaincre tout le ban et l’arrière ban des acteurs français de venir faire un petit rôle dans son film. Citons pêle-mêle Dominique Pinon, Clémentine Célarié, Mathilde Seigner, Simon Abkarian, Antoine Duléry, Tom Leeb ou encore Lucie Boujenah. Mais c’est le duo Olivier Gourmet / Thomas Solivérès qui emporte evidemment le morceau. Le premier s’offre, d’une manière un peu détournée, un des plus grand rôles de la fiction française et se glisse, à sa manière, dans la lignée des Jacques Weber, Jean Piat, Jean Marais et autres Gérard Depardieu (le générique de fin rend hommage à tous ces grands Cyrano, ne quittez pas la salle trop vite !) le talent d’Olivier Gourmet, dont on sait bien qu’il peut tout jouer, saute une nouvelle fois aux yeux dans ce rôle flamboyant qu’est Constand Coquelin/Cyrano de Bergerac. Thomas Solivérès, lui est méconnaissable en Edmond Rostand, un Edmond Rostand en proie au doute, à l’angoisse de la page blanche, puisant dans tout ce qui l’entoure une inspiration capricieuse, amoureux de sa femme et aussi un peu de celle de son meilleur ami, se servant de son trouble pour nourrir son personnage. Solivérès est très convaincant dans son premier rôle « adulte » ! Il importe peu de savoir si le scénario de « Edmond » est fidèle à la réalité. J’ai évidemment du mal à croire à une pièce de cette envergure, en vers, écrite à l’arrache et jouée à peine terminée, sans relectures, sans réécriture, presque sans répétitions ! Mais au fond, devant « Edmond », cela n’a pas d’importance. On regarde ce film comme une regarde une pièce de boulevard, on n’y croit pas vraiment mais on se laisse emporter par le rythme, par l’humour, par la folie douce de son sujet. Il y a beaucoup d’humour dans « Edmond », bien plus que dans « Cyrano de Bergerac » du reste, qui a pourtant été vendu au départ comme une comédie. Le film de Michalik nous montre les affres de la création à sa manière. Laissé dans son coin, Rostand n’est pas capable d’écrire mais entrainé par les évènements, poussé par le destin et mis au pied du mur, l’inspiration lui vient de tout ce qui l’entoure. Il y a surement une part de vrai dans cette démarche, les œuvres les plus grandes n’ont pas été écrites par des auteurs surs de leur talent, en pleine confiance, mais par des hommes un peu torturés, fragiles, en proie au doute. Ici, Edmond Rostand écrit « Cyrano » sans fil directeur, sans savoir où il va, il laisse presque son personnage lui dicter sa pièce, il subit, plus qu’autre chose, cette création qui lui apportera le succès et la postérité. Il est Cyrano quand il écrit des lettres d’amour enflammées sous le nom d’un autre. Il voudrait être Cyrano, lorsque celui-ci mouche ses ennemis, alors que lui reste muet devant la faconde prétentieuse de Georges Feydeau. Le sujet d’ « Edmond », c’est aussi cela : un auteur crée-t-il un personnage qui lui ressemble, ou le personnage qu’il voudrait être ? Ici, indéniablement, Cyrano est à la fois l’un et l’autre. Pour conclure, je conseille « Edmond » même à ceux qui comme moi ne sont pas très au fait de la pièce d’Edmond Rostand. Il n’est nul besoin de la connaitre parfaitement pour profiter de la petite bulle de légèreté qu’est « Edmond ». En revanche, si on ne connait absolument rien de « Cyrano de Bergerac », je ne sais pas si on peut pleinement apprécier ce film. Dans ce cas, le mieux, c’est encore de le lire avant ou, si l’on préfère, de regarder le merveilleux « Cyrano de Bergerac » de Jean-Paul Rappeneau avec Gérard Depardieu dans le rôle titre.