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Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités, et les erreurs ? Spidey nous aura tous hypés pour ce troisième opus de la troisième franchise placée sous le signe de l'homme-araignée en 20 ans. Depuis que les univers partagés sont encore plus étendus grâce aux multivers (merci notamment à Doctor Strange ou Flash, côté DC), les rumeurs les plus folles ont couru, rêvant de voir resurgir des limbes Tobey Maguire et Andrew Garfield aux côtés des vilains annoncés qui leur ont donné du fil (de soie) à retordre et, évidemment, du moins expérimenté d'entre eux parce que le plus ado attardé: Tom Holland. Les théories se confirment-elles avec trois Peter Parker pour le prix d'un?
Je ne vous en dirai rien, découvrez-le par vous-mêmes, une chose étant certaine, voilà un film surprenant qui regarde autant vers le futur que vers le passé, qui cherche à consolider ce que les studios ont parfois tendance à casser, à vouloir faire différent, en rupture, toujours mieux qu'avant. En n'excluant pas de se planter royalement. Dans cet équilibre fragile, fracassé, ce No way home trouve admirablement sa place. Un rêve de gosse dont les forces colossales compensent les maladresses (des temps morts, une première partie fourre-tout qui ne va pas droit au but, des blagues jusqu'à plus soif, paraissant parfois improvisée, ce qui donne aussi ce côté wtf au film).
Mais reprenons par le début de la suite. Dans Far from home, nous laissions Peter Parker pris au piège des événements terroristes de Londres: démasqué par le martyr Mysterio, son identité laissée en pâture dans les mains expertes du polémiste J. Jonah Jameson. On peut lui faire confiance - grâce à ses grands écrans répartis dans la ville, qui lui serve autant à faire de l'infox que de la pub pour ses produits dérivés - pour briser une réputation, pourrir une vie qui peinait déjà assez comme ça à être équilibrée.
Voilà l'opprobre jeté sur Spider-Man mais aussi tous ceux qui avaient la chance... et maintenant le malheur de compter parmi ses proches : May, MJ (Michelle Jones pas Mary Jane!), Ned Leeds, Happy... L'araignée se retrouve engluée dans sa propre toile, entraînant dans sa chute, malgré elle, ceux qui l'ont toujours aidée. Sous les airs de vaudeville des trente premières minutes, c'est une foutue pagaille, bien dans l'air du temps. Des influenceurs commandent à la foule en délire de lyncher quelqu'un, chacun y va de son avis... Et allez vous laver des accusations desquelles vous êtes blanchi quand l'opinion publique vous a déjà condamné. Leçon apprise d'un certain Murdock!
Pouvoir médiatique traditionnel ou nouveau, complotisme, tout ça peut être dévastateur et terriblement contemporain. Au point que la Spidey Family se verrait bien déménager, un nouveau départ vers Boston, par exemple. À moins que Doctor Strange (qui possède un frigo qui pourrait rivaliser avec la malle de Norbert Dragonneau dans Les Animaux Fantastiques) n'ait un tour, une rune, pour que tout revienne à la normal. Alors, Peter s'y rend comme on va chez le pharmacien, sauf que les sortilèges magiques, ce n'est pas automatique... et ça comporte quelques effets secondaires... et des concessions auxquelles l'étudiant n'est pas prêt. Alors, fidèle à la fois à son bagout, sa naïveté et sa maladresse, Peter fait tout dérailler: l'époque, le temps, le monde. Tout se mélange et voilà que les vilains d'ici et d'ailleurs se retrouvent propulsés dans son New-York: le Bouffon Vert, Doc Oc, l'Homme-sable, le Lézard et Électro. Les Sinister... Five en quelque sorte et un grand bonheur de retrouver les acteurs originels !
Car tous ceux-là ont beau ne pas connaître les Avengers dans leur réalité, c'est un casting qui n'a rien à y envier qui est réuni sous la houlette de Jon Watts (après le Maître Sam Raimi et le bien nommé Marc Webb). Quel bonheur, un peu masochiste parfois il est vrai, de retrouver Jamie Foxx, Thomas Haden Church, Rhys Ifans (qui n'est toujours pas gâté par le look donné à sa créature et conservé dans ce nouvel opus) et, en tête, les somptueux Alfred Molina et Willem Dafoe, en proie à leur dédoublement de personnalité. Manque juste le Venom de Sam Raimi et Topher Grace, qui a depuis été remplacé par une nouvelle version à succès mais très peu qualitative et qu'il était, on s'en doute, compliqué à inviter. En réalité, tous les méchants sont, ici, en perte totale de repères mais finalement libérés des conventions de leurs carcans précédents. Et, en un regard, une parole, juste avant de resombrer pour certains, tous ces gars qu'on a adoré détester, pour qui on trouvait déjà quelquefois des circonstances atténuantes, gagnent en épaisseur. Parce que tout le monde "a ses problèmes, mentaux ou physiques". Aussi parce qu'ils prennent conscience qu'ils sont dédiés à la mort, des autres et la leur...
... et que le Peter Parker 3.0, celui du Marvel Cinematic Universe qui voit débouler avec un vocabulaire mignon tous ces adversaires coriaces ("un elfe vert volant"), ne peut se résoudre à réaliser. Car, lui, se veut sauveur pas tueur. Même si certains mentors peuvent lui asséner qu'il n'a pas le choix, que c'est leur destin, et que d'autres veulent lyncher du boloss. Peut-être Peter n'a-t-il pas encore été assez poussé dans ses retranchements ?
Dans ce nouveau film de 2h30, Jon Watts y parvient, sans jamais se départir de son humour (lui aussi salvateur et sans limite, de situation et de multiplication), en allant chercher dans ses prédécesseurs le partage d'expériences et des erreurs pour aider ce jeune super-héros, ce "mathlète" peut-être un peu trop cartésien. Dans cette foule de personnages, personne n'est mis à l'écart, tout le monde a son rôle à jouer, même les antagonistes une fois réarmés de mauvaises intentions, dans cette histoire éclatée. À tout moment (sauf un), drame et humour s'allient pour faire de ce film un grand moment de fun et éblouissant. Car au-delà de l'air du Tisseur de ne pas y toucher mais de croire en son rêve plus loin que le manichéisme, ce métrage musclé bénéficie de scènes à tomber à la renverse, avec des chorégraphies dingues et un sens du rythme en elle (là où cet opus connaît quelques baisses de régime) qui nous adhère complètement.
Au-delà de la forme, dans le fond, il y a là une incroyable déclaration aux films (de divertissement ou pas, d'ailleurs, pourquoi toujours vouloir catégoriser) et à leurs protagonistes qui viennent en one-shot ou connaissent la joie d'une série et puis qui un jour tirent leur révérence... mais continuent à vivre quelque part dans l'esprit des cinéphiles, des amoureux d'histoires. Parce que les bons héros ou les excellents vilains ne meurent jamais, que la vie continue dans l'usage qu'on fait des métrages, épisodiquement ou en y revenant souvent. Avec le potentiel, également, dans les salles, de créer de vrais moments de communion entre les générations et les adeptes de différents cinémas. Y compris dans la formidable musique de Michael Giacchino.
Au-delà du blockbuster, de sa réussite comique (peut-être encore plus que les deux précédents, Homecoming et Far from home) et au niveau des effets spéciaux et d'action, Spiderman - No Way Home se veut aussi très touchant, brut d'émotions en ayant la bonne idée de ne jamais en rajouter, de faire les choses avec beaucoup de sincérité et de générosité. Une réelle réussite dans le chef de tous les acteurs confondus. Pas sans défaut, mais c'est peut-être aussi pour ça qu'on va tant l'aimer, ce Spider-Man là, tellement inattendu et surprenant, frais, trouve et trouvera définitivement sa place dans nos maisons et nos coeurs. Et la fin de cette première trilogie immortalisée par Tom Holland (qui avoue avoir un projet de seconde trilogie), en pointillé, parie sur le fait que le meilleur est à venir et à créer. Recréer? C'est terriblement touchant et excitant. Bienveillant, par-dessus tout.