Voilà un long métrage pour lequel j’ai bien du mal à attribuer une note, pour la seule, l’unique, la bonne et simple raison qu’il me manque quelque chose. Et pourtant, c’est un film qui a beaucoup de qualités, pour ne pas dire énormément. Et s’il ne manquait pas cette fameuse chose, je dirais même qu’il n’a QUE des qualités. Comme il faut bien commencer quelque part, autant parler d’abord du contenu du récit, très fourni en thèmes. Sans trop creuser, "Guy" est d’abord un très bel hommage à la chanson française. Mais pas seulement la chanson en général, non : la chanson à texte, la chanson qui veut dire quelque chose. Mais si on creuse davantage, alors là le film d’Alex Lutz explose de richesses, alors que l’histoire telle qu’elle nous est présentée est simple. Pour preuve, vous n’avez qu’à jeter un œil sur le synopsis. Dès les premières images, on découvre un homme qui ressemble trait pour trait à Alex Lutz, en plus âgé : un homme qui pourrait être son père ! Un homme qui porte les ravages du temps : des rides bien sûr, une peau distendue, mais aussi des tâches de vieillesse qui viennent compléter un visage fatigué surmonté de cheveux blancs que son propriétaire ne cesse de recoiffer. La transformation du comédien pour endosser le rôle-titre est tout bonnement spectaculaire ! Pour ceux qui ne connaissent pas encore l’acteur (pourtant apparu entre autres dans "OSS 117 : Rio ne répond plus"), il parait difficile de croire qu’il n’a alors qu’une quarantaine d’années tant le maquillage semble plus vrai que nature. Ah ben hein, ça valait mieux, histoire de ne pas avoir subi pour rien 4 à 5 heures de maquillage par jour de tournage ! Le travail ne s’est pour autant pas seulement focalisé sur l’aspect physique. Un gros boulot a été effectué aussi sur les gestes, les postures, et un rythme qui s’imprime à celui donné par les assauts dévastateurs d’une vieillesse inévitable. Ainsi on a un personnage qui évoque notre Bébel national avant son terrible AVC quand il parle, et qui rappelle Michel Sardou dans sa façon de chanter ainsi que Claude François par la sonorité et la rythmique de certaines musiques. Le plus remarquable de tout ça, c’est qu’on en vient à penser que Guy Jamet est un personnage qui existe vraiment ou a réellement existé tant la prestation d’Alex Lutz est hallucinante de vérité. Et si on croit qu’il est (ou a été) bien réel, c’est que le cinéaste a pris le parti de proposer cette fiction sous un air de documentaire filmé maladroitement, doublé d’un montage faussement bancal. Encore mieux, l’aspect amateur est renforcé par une bande son légèrement résonnante, avec une caméra tantôt à l’épaule, tantôt posée pour des plans purement et simplement contemplatifs, comme si on cherchait à définir l’homme dans sa plus stricte nature. Le contraste est d’ailleurs saisissant entre un homme public connu pour avoir su chanter l’amour, et un homme qui a un langage bien plus fleuri dans sa vie privée. Pour argumenter tout cela, le récit bascule adroitement entre le temps présent avec cette insertion dans son intimité et la vie d’artiste avec quelques excursions dans le temps passé par le biais de vraies fausses images d’archives. Cette façon de faire accroit de façon considérable la véracité du récit, une authenticité complétée par l’intervention de quelques têtes bien connues tels que Michel Drucker à travers une émission minutieusement reconstituée, Julien Clerc, Dani et Nicole Ferroni (les quatre dans leurs propres rôles), sans compter que les marques sont montrées sans retenue aucune et même vantée pour l’une d’entre elles. Alors certes les sempiternelles exigences de stars n’ont pas été oubliées par la description du côté caprice égocentrique du personnage avec son petit aspect parfois ridicule, encore qu’elles ne semblent pas si nombreuses, d’autant que le chanteur vit simplement dans une maison aux dimensions modestes. Il se dégage aussi du récit une grande tendresse (normal puisque c’est un fils illégitime qui filme son père sans que ce dernier sache qui est vraiment ce jeune journaliste), ce qui a le don de mettre en avant la sensibilité d’un personnage prisonnier de sa carrière de chanteur et en prise avec une certaine nostalgie (la boîte Icare), échoué quelque part qu’il est dans un océan inextricable de regrets, de tristesse et de déprime. Car cet homme-là n’est pas dupe, ni de quoi que ce soit, ni de lui-même. C’est là que cet homme au passé de crooner livre ses certitudes, ses fiertés, mais aussi ses doutes, ses craintes et ses angoisses, toute cette multitude de choses qui lui font établir un bilan de sa vie plus ou moins imposé par cette caméra omniprésente dont la mission « officielle » est de dresser le portrait d’un artiste au crépuscule de sa carrière. Ainsi sont évoqués le drame de la disparition de certains commerces (maroquinerie, droguerie…), la réflexion sur le flicage caché de la société dicté par les clauses du contrat liant le chanteur aux producteurs, mais aussi des sujets plus profonds comme la paternité, toujours difficile à assumer quand le succès, la célébrité et les obligations qui vont avec ont conditionné la vie d’artiste et même au-delà. Il y a également une remise en question sur l’utilité d’un tel reportage, et c’est là d’ailleurs qu’il y aura le plus notable changement de ton. Mais on aura aussi une vraie évolution relationnelle entre le jeune journaliste et le chanteur condamné à chanter ses vieux standards entre galas et pauvres concerts quasi anonymes donnés en restaurant : des chansons pour midinettes certes, mais des chansons qu’on se surprend à apprécier jusqu’à fredonner le "Dadidou" qui aurait fait, j’en suis sûr, un tube en son temps. Mention spéciale aux compositeurs et auteurs qui, volontairement ou pas, font penser par la teneur des textes à Michael François (lequel blinde toujours les salles) et Frédéric François. Seulement voilà : pour moi le sujet de départ n’a pas été clos. Le fils illégitime va-t-il au bout de sa quête ou pas ? Chacun ira de son interprétation, d’autant que Guy Jamet, comme je le disais plus haut, n’est pas dupe. Il est même doué d’une grande intelligence. Pour rappel, on voit son regard envers Gauthier changer au fil de cette fiction. Mais les choses n’étant pas explicitement dites, le doute est permis. Et c’est précisément ça qui m’incommode. Cela dit, ça a le mérite de changer, et on ne peut pas vraiment reprocher cette fin inachevée. Quoi qu’il en soit, porté par une vraie performance d’acteur, que ce faux vrai documentaire est touchant ! Que tout cela semble si véridique ! Bravo Alex !