Précédé de critiques très élogieuses, d’une bande annonce astucieuse et d’un très bon bouche-à-oreille, le deuxième film d’Alex Lutz est, mine de rien, un sacré défi à tous les points de vue. Dans sa forme déjà, « Guy » se présente comme un documentaire, c'est-à-dire qu’on ne verra quasiment jamais l’interprète de Gauthier, Tom Dingler, à l’écran. On entend juste sa voix, de plus en plus fréquemment d’ailleurs. Ce qui se présente au début comme une sorte de documentaire ponctué de monologues se mue, au fil des minutes, en une sorte de dialogue entre Guy et ce jeune cinéaste. C’est assez bien vu, ce glissement qui va de paire avec ce rapprochement entre un père et son fils : ils se jaugent, se chamaillent, se vexent puis se réconcilient, et le film se termine par une vraie complicité muette, pleine de non dits mais palpable à l’écran. On pourrait penser que cette façon de filmer est ennuyeuse, répétitive mais pas du tout. Le film dure 1h40 mais le temps passe vite, le coté « caméra à l’épaule » peut-être saoulant à la longue mais Alex Lutz n’en abuse pas. Tout juste peut-on trouver que les intermèdes chantés sont un peu trop nombreux et un peu trop longs, mais c’est un avis tout personnel, vu que je ne suis pas fan du tout du genre « Stone et Charden » ! Si Alex Lutz a choisi ce format original, c’est qu’il n’a pas à proprement parler de scénario, d’intrigue ou d’histoire à raconter : il filme un portrait. Guy Jamet, c’est un chanteur qui a connu la gloire et qui vit de cet héritage encore aujourd’hui. Il a surfé sur les modes comme un Johnny Halliday, il a toujours choyé son public comme un Claude François, il a mélangé la ville et la scène comme un Eric Charden, il a connu toutes les addictions et tous les excès aussi, il a eu un fils qu’il a à peine élevé. On pourrait penser que Guy Jamet est une caricature mais pas du tout, puisqu’on retrouve en lui tous les chanteurs des années 70-80 qu’on regardait chez les Carpentier quand on était enfant. Lutz a voulu faire le portrait d’un chanteur mais aussi le portrait d’un homme, vieillissant, qui partage la vie d’une actrice de (mauvaises) séries TV plus jeune que lui mais qui aime toujours sa première femme, qui regrette les relations difficiles avec son fils : la scène filmée de loin entre Guy et son fils dans le restaurant est touchante de pudeur, sans bien entendre les dialogues on devine tout de ce fossé qui les sépare. Il est pétri de défauts exaspérants et de jolies qualités, il est tour à tour touchant et insupportable, parfois prétentieux, souvent maladroit mais visiblement toujours sincère. C’est un vrai personnage complexe d’Alex Lutz a imaginé, crédible de bout en bout, jamais caricatural malgré le sujet et les apparences. Et puis, au-delà du chanteur, de l’homme, c’est aussi le portrait d’une génération qui est mise en scène, celle du baby-boomer qui vieillit et regarde encore le monde cynique d’aujourd’hui avec le regard de sa jeunesse. Guy Jamet voudrait bien se faire à cette société de 2018 mais c’est difficile. A cet égard la scène du webmaster est très pertinente : tout le discours de Guy Jamet sur le mariage pour tous est visiblement sincère mais il est d’une maladresse terrible. Il vient d’une autre époque, malgré toute sa bonne volonté, il n’est pas à l’aise dans la France de 2018 : connectée, procédurière, politiquement correcte. Il n’y a qu’à relever le nombre de réflexions misogynes qu’il sort, en toute innocence, pour comprendre que Guy Jamet est malgré tous ses efforts, un peu dépassé ! Ce chanteur, cet homme, ce baby-boomer, Alex Lutz l’incarne avec une justesse qui devrait, s’il y a une justice, lui rapporter un César. Le maquillage qui le vieillit est incroyable de vérité, et les séquences nostalgies (filmées comme si elles sortaient de l’INA) sont à la fois drôles et parfaitement interprétées : brushing, tentative de moustache, attitudes, tout y est et ce qui parait ridicule aujourd’hui était la norme chez les Carpentier, il suffit de revoir les émissions de l’époque. Mais les fringues, le maquillage et la coiffure, ça ne suffit pas à composer un personnage. Il faut la façon de parler (cette manie de ne pas prononcer les noms propres tout à fait comme tout le monde !), le regard, les silences, les attitudes, la façon de se tenir, de marcher. Il est exceptionnel de justesse dans chaque détail de son personnage : une vraie, une belle performance d’acteur comme on n’en voit pas si souvent ! Avec « Catherine et Liliane », on sait qu’Alex Lutz est capable de s’oublier totalement derrière un personnage mais là, il fait encore plus fort. Une fois le film terminé, on a l’impression de connaitre Guy Jamet depuis toujours, tellement il a réussi son coup. « Guy » est le portrait complexe et plein de pudeur d’un homme à la fois ordinaire et extraordinaire. C’est un joli film à réserver à ceux qui aime les belles performances d’acteur, les personnages fouillés et qui n’ont pas peur, pour une fois, d’un film sans véritable scénario.