Quand Jean Renoir tourna, en 1938, un film sur la Révolution française intitulé « La Marseillaise », il fit le choix radical de n’évoquer la grande histoire que par le biais des petites histoires des anonymes. Pas de prise de la Bastille ni de combat des Tuileries mais les petits événements de la marge, ceux qui peuvent sembler anecdotiques à qui ne jure que par le spectaculaire mais qui, en vérité, en révèlent bien plus qu’on ne croit sur la vérité d’une époque. Nul besoin de grandiloquence pour montrer l’impact de la Révolution sur les gens, estimait avec sagesse le grand cinéaste.
Aujourd’hui, Pierre Schoeller, en proposant à son tour un film sur la Révolution, n’oublie pas la leçon du maître Jean Renoir, sans en conserver cependant toute la radicalité. « Un peuple et son roi » commence le 9 avril 1789 et s’achève le 21 janvier 1793, jour de l’exécution de Louis XVI. La première scène du film nous montre le roi, le jour du Jeudi Saint, lavant les pieds de quelques enfants pauvres. La dernière nous montre sa tête brandie par le bourreau qui vient de la trancher en le guillotinant. Entre ces deux dates, le cinéaste égrène quelques évènements-clés de ces premières années de la Révolution. Et, contrairement à Jean Renoir, il ne fait l’impasse sur aucun des faits importants de cette période. Il les montre d’ailleurs assez habilement, ces évènements. La Bastille, que l’on est en train de détruire au début du film, laissant ainsi passer les rayons de soleil sur les visages et sur des rues qui, à l’ombre de la forteresse, en étaient jusque là privées, cela fait forte impression. De même lorsqu’il est question de péripéties plus violentes, plus sanglantes, plus tragiques.
La limite du film vient de ce qu’il se doit de résumer plusieurs années de Révolution dans une durée d’à peine deux heures. Difficile de ne pas être didactique dans ces conditions. Le film n’échappe pas à cet aspect scolaire, surtout quand il fait se succéder à la tribune du parlement, puis à celle de la Convention, des orateurs célèbres comme Robespierre, Danton, Marat, Sieyès et quelques autres.
Le film est beaucoup plus intéressant quand, comme le faisait Jean Renoir, il dévie du côté des marges, donnant à la Révolution les visages de quelques-uns de ceux qui n’ont pas laissé leurs noms dans les livres d’histoire, mais qui en sont, néanmoins, eux aussi, les acteurs. Que serait une Révolution sans le peuple ? Dans le film de Pierre Schoeller, elle s’incarne dans les personnages d’un souffleur de verre (Olivier Gourmet), d’un vagabond (Gaspard Ulliel) ou d’une lavandière (Adèle Haenel, formidable). Il faut d’ailleurs remarquer la place accordée aux femmes dans ce film. Lorsqu’on évoque la Révolution française, ce sont des noms d’hommes qui viennent aux lèvres. Or les femmes n’ont sans doute pas joué un rôle mineur dans toute cette aventure. C’est, j’en suis convaincu, le plus gros point fort du film de Pierre Schoeller que de rendre manifestes leur rôle et leur présence.