Le professeur de français, dans L’Heure de la sortie, ne cesse de se demander ce que ses élèves trament et préparent, avant d’apprendre, à terme, qu’ils préparent moins quelque chose qu’ils ne se préparent à leur disparition, anticipée par une série d’épreuves dont la finalité est de dompter sa peur de la mort. Aussi l’enseignement change-t-il de camp pour devenir l’apanage d’une classe qui a déjà étudié les textes et qui invite son enseignant à participer à un jeu de pistes au terme duquel il sera éduqué et saura affronter l’apocalypse avec sérénité. Le corps enseignant apparaît comme débauché et dégénéré : pensons à la principale-adjointe qui s’amourache du nouveau venu au point de le harceler jour et nuit, ou encore aux soirées organisées au cours desquelles l’un des élèves assiste aux danses lascives d’adultes ivres. La transmission s’inverse, et ce renversement des positions permet au long métrage de susciter un sentiment d’étrangeté qui gagne en gravité à mesure que s’enchaînent les révélations sans qu’elles n’aboutissent à une résolution. S’opposent ici deux rapports à l’existence qui passent par deux regards portés sur le corps, tantôt dégradé par les adolescents, tantôt érotisé par le professeur dont le t-shirt moule des abdos sculptés à grand renfort de vélo et de natation. La fétichisation du corps de Pierre Hoffman, très explicitée par la mise en scène au point de paraître quelque peu obsessionnelle, sert de vanité à une finitude que le personnage s’efforce d’affronter en composant une thèse sur Kafka, auteur tourmenté par excellence. L’Heure de la sortie est une œuvre malade où le somnambulisme de son protagoniste principal n’a d’égal que les distorsions d’un réel rendu inquiétant par le subtil travail de composition du cadre : ici les couleurs chaudes semblent figées, lissées, déjà mortes. Les mouvements de caméra sont tout aussi déréglés : un *travelling* avant cherche l’étrangeté dans la nature environnante, une caméra embarquée suit Laurent Laffite dans son exploration de ce paradis verdoyant changé en colline sacrificielle pour une poignée d’adolescents-prophètes. Écartelés entre ces deux mouvements se tiennent des corps dont la plupart font office de décor : la classe évoque *Le Village des damnés* et leur uniformité glaçante, les collègues de travail ont chacun une petite bizarrerie qui les rend intrigants ; c’est surtout le corps enseignant – littéralement de l’enseignant de littérature – qui fascine. Son corps se heurte à l’environnement extérieur, il est celui qui n’aurait pas dû se trouver là et qui, pourtant, s’efforce de remplir son rôle, surtout de comprendre, de procéder à un commentaire composé – comme on dit dans le jargon – avec un texte de prime abord illisible qu’il s’agit de faire sien et de décortiquer. L’exercice scolaire se change vite en initiation artistique : le son se transforme en alarme et en ondes, l’atmosphère se remplit d’une chaleur écrasante sous laquelle interviennent des dysfonctionnements de toute sorte (électricité, eau potable) ; les rêves du professeur se peuplent peu à peu de visions cauchemardesques, les disques trouvés dans une cachette lui font prendre conscience de l’horreur du monde duquel il se tenait jusqu’alors épargné, comme tenu à l’écart par une vie menée à courte vue. Le choc c’est l’image, c’est la caméra de l’adolescent qui capte le chemin de croix au terme duquel quelques êtres espèrent mettre un terme à leur malaise existentiel, ce sont aussi des images prélevées un peu partout dans les médias, des images quotidiennes que le spectateur quotidien ne regarde même plus. Dans L’Heure de la sortie, le professeur s’éveille au contact des élèves, et non l’inverse. Cet éveil se passe très souvent hors champ, et l’on a l’impression que ce que nous avons sous les yeux n’est qu’une conséquence partielle d’un plus grand chaos qui se jouerait non loin de là. Immense, fascinant, dérangeant, le film de Sébastien Marnier est un dérèglement climatique à lui tout seul, fait du dérèglement climatique sa structure porteuse sans jamais prétendre philosopher sur elle. Pourtant, l’humanité demeure, *in extremis*, saisie par un geste délicat, une compassion aussi soudaine qu’inespérée et qui nous plonge dans un bain d’empathie et de tristesse dont on ressort avec l’envie de réitérer cette si saisissante sortie.