Les réalisateurs français ne sont pas réputés pour être très doués dans le genre du film fantastique et, en l’occurrence, du thriller fantastique. Il y a cependant, bien entendu, des exceptions et ce film, sans nul doute, en est une. C’est même un film particulièrement réussi, dosant habilement les ingrédients nécessaires au succès d’une telle œuvre. Preuve, s’il est besoin, que, contrairement à ce que certains se plaisent à répéter, il est tout à fait possible de faire du cinéma de qualité en France, ce que vient confirmer, chaque année, un grand nombre de films.
« L’Heure de la Sortie » est formidablement bien écrit et il est réalisé avec une virtuosité confondante. C’est un film assez complexe, en vérité, car il faut, tout du long, se défier de ce qu’on voit à l’écran en acceptant cette évidence qui est que les apparences sont souvent trompeuses. De plus, et c’est une de ses grandes forces, le film se fonde sur des réalités très contemporaines. Qui n’a pas été marqué, de nos jours, par l’abondance, par la fréquence de plus en plus grande, des catastrophes ravageant des régions entières, catastrophes dont on sait bien que beaucoup d’entre elles sont imputables aux changements climatiques ? Qui n’est pas effaré par la profusion d’images de cataclysmes de toutes sortes diffusées sur nos écrans ? Désastres écologiques, attentats terroristes, crises sanitaires, etc. S’est-on suffisamment inquiété de l’impact que peut avoir cette pléthore d’images sur le psychisme et sur le comportement des plus jeunes, sur ceux qui, saturés de reportages terrifiants, risquent de désespérer de leur propre devenir ?
C’est cette réalité anxiogène que le film prend en compte et c’est en se basant sur elle qu’il bâtit une fiction se déroulant dans le cadre d’un établissement scolaire très huppé. C’est là que, suite au suicide d’un enseignant, arrive le professeur de français chargé du remplacement. C’est l’excellent Laurent Lafitte qui joue ce rôle tout en retenue et chargé d’ambiguïté. Car, si ce professeur quadragénaire, célibataire et grand lecteur de Franz Kafka, devient rapidement la cible de quelques-uns des élèves d’une classe de surdoués (ou d’intellectuellement précoces, comme préfère dire le directeur), il ne tarde pas à se changer lui-même en une sorte d’espion de ces derniers. Tandis que ces quelques élèves s’ingénient à le pousser dans ses retranchements, lui ne manque pas une occasion de les épier.
C’est un jeu inquiétant et morbide qui se met en place. Le professeur, victime de jeunes adolescents qui le harcèlent et même le volent, devient le spectateur intrigué, voire fasciné, d’une petite bande, mal vue des autres élèves, qui volontiers s’isole sur le terrain d’une carrière et non loin d’une centrale nucléaire pour se livrer à des activités troubles et dangereuses. Qu’ont donc en tête ces adolescents, quelle pulsion de mort s’est installée en eux, pour qu’ils s’adonnent à des occupations pour le moins risquées, souvent très violentes ? Le professeur n’est pas au bout de ses surprises.
Je n’en dis pas davantage pour ne pas dévoiler une intrigue pleine de rebondissements, de surprises, de tension. Mais je veux saluer encore les qualités d’écriture de ce film qui réussit parfaitement la gageure de créer un fascinant suspense au moyen de personnages perturbés mais jamais caricaturaux. Sans oublier sa forte emprise sociologique et politique. Quelle planète léguons-nous aux jeunes générations ? Et avec quels mensonges (sur la question de l’énergie nucléaire, par exemple) nos gouvernants cherchent-ils à nous illusionner ?