Östlund est un cas dont il faut parler dans le cinéma d’aujourd’hui. Une sorte de caricature de ce que le cinéma de coproduction européenne peut faire de pire ; se parer des atours du grand divertissement populaire, avec l’arrogance des donneurs de leçons. Quelqu’un l’a dit merveilleusement bien (c’est Sophie Avon pour Sud Ouest) : « Östlund (…) fait son business dans la décharge de nos mauvaises consciences ». On ne saurait mieux dire et je vais donc faire court.
Bien que j’évite tant que je peux de médire d’un film, il y a certains auteurs qui je crois méritent cette attention : parce qu’ils frisent l’arnaque populiste. Qu’ils remuent la fosse septique, qu’ils donnent l’impression d’avoir tout compris au désastre, alors qu’en fait ils ne la filment jamais, la fosse. Je ne sais pas bien qu’est-ce qui peut faire rire dans cet interminable machin décousu, sinon qu’enfin les pulsions orificielles s’expriment pendant dix minutes de scatologie : le rire nerveux peut sortir car on nous donne à voir quelque chose de littéral, au premier degré, libéré. Mais que cette séquence arrive au bout d’1h30 sur les 2h30 de ces moignons de séquences cheap, ravive une grande question sur l’absence de film autour, et qui fait passerelle entre les respectables jurés du Festival de Cannes (qui lui ont attribué une palme) et les commentaires des robots captcha d’instagram.
C’est qu’en fait Östlund donne à voir du méchant, de l’avarié, du « tous pourris », mais sans l’once d’une idée spirituelle, sans la moindre conception d’amour ou d’attachement à un personnage fusse-t-il ambigu ou rendu même à son état animal ; en fait sans la moindre irrévérence. Et que cela suffirait à tous nous rattacher à la même merde, en tant que même espèce. On dirait les billets d’humeur d’un mauvais portraitiste cumulard qui jouerait sur le gros trait visuel et des dialogues vaguement roublards. Östlund a compris comment rentrer dans l’esprit du temps : supprimer toute forme de nuance, faire mine de réfléchir sur « les grands sujets » quand on a rien à dire et, dans le doute, vendre tout cela en jeu de massacre populaire. Mais aucun personnage ne subsiste de ce pâté de foie, aucun acteur n’y résiste et aucun mouvement de caméra « qui fait genre » ne peut donner l’illusion de « la mise en scène ».
Que Cannes donne l’or au film le moins cinématographique du festival fait réfléchir ; car Östlund n’a ni l’honnêteté de ceux qui cherchent un trait de lumière dans le noir, ni la force machiavélique des monstres. Les commentateurs instagram trouvent ça génial parce que méchant et cruel, comme chez Le Figaro qui trouve enfin en Östlund le troubadour de leurs idées rances, c’est-à-dire un faux trublion qui rit sardoniquement du politiquement correct pour n’aligner qu’une succession de vignettes toutes plus consensuelles les unes que les autres. C’est l’ennui le plus mortel qui domine la tentative de l’électrochoc.
Tout cela serait formidable si en fait nous étions piégés par le rire, malmenés, miroités. Mais ce film « hilarant » comme le dit les sponsorings de réseaux sociaux (faisant oublier que la moyenne de la presse est en fait très basse) n’a fait rire personne dans la salle, si ce n’est les avalanches de diarrhée et de vomi qui font illusion un petit quart d’heure. A Cannes c’est différent ; on s’emmerde tellement après cinq films moyens par jour, que quand le bateau se met à roter, on a l’impression de tenir là la comédie du siècle.
Östlund l’a dit : « Je fais des films pour gagner la Palme d’Or ». Derrière la provocation de « je dis ce que personne n’ose dire tout haut », se cache peut-être simplement l’arrogance des compétiteurs, de ceux qui veulent gagner, une sorte de cinéma de winner qui au grand jour ne peut que révéler sa vraie nature : c’est dans le clan des imposteurs que se situe Östlund.
Avis aux amateurs : il a déclaré lui-même que son prochain film se déroulerait dans un avion, et que le voyage tournerait au cauchemar. Une troisième palme le guette.
Cinéma, vous avez dit cinéma?