Du jamais vu
La voilà la Palme d’Or de Cannes 2022 ! Elle vient de Suède avec Ruben Östlund, un dangereux récidiviste puisqu’en 2017, il l’avait déjà emportée avec The Square, une comédie dramatique qui avait beaucoup fait parler. Inutile de préciser qu’il en sera de même pour ces 142 nouvelles minutes d’un pur jeu de massacre. Après la Fashion Week, Carl et Yaya, couple de mannequins et influenceurs, sont invités sur un yacht pour une croisière de luxe. Tandis que l’équipage est aux petits soins avec les vacanciers, le capitaine refuse de sortir de sa cabine alors que le fameux dîner de gala approche. Les événements prennent une tournure inattendue et les rapports de force s'inversent lorsqu'une tempête se lève et met en danger le confort des passagers. Plus corrosif… tu meurs ! Moi, j’adore, il n’en sera pas de même pour tout le monde. Et vous ?
Triangle of Sadness est le titre original de cette palme d’Or. – Pourquoi donc, encore une fois, les distributeurs français ont-ils trouvé intelligent de choisir ce titre indigent ? Mystère ! -Cela fait référence à un terme utilisé dans l’industrie de la beauté. Une des amies de Ruben Östlund s’est entendue dire par un chirurgien esthétique lors d’une soirée au sujet d’une ride entre ses sourcils : Vous avez un triangle de tristesse assez profond… Mais je peux arranger ça avec du Botox en un quart d’heure. Eh oui ! On est là dans un des thèmes du film, révélateur de l’obsession de notre époque pour l’apparence et du fait que le bien-être intérieur est, d’une certaine manière, secondaire. Après le monde de l’art contemporain dans sa précédente Palme d’Or, Östlund s’attaque au milieu de la mode, qu’il connaît bien pour avoir créé en 2018 une ligne de vêtements. Cette comédie dramatique propose une peinture au vitriol des privilégiés de ce monde. Pour résumer, le couple le sympa du film est un couple d’anglais qui a fait fortune en vendant des mines antipersonnel et des grenades… C’est vous dire ! C’est décapant et d’une originalité folle. Je l’ai dit en exergue, c’est du jamais vu. Östlund sait tout faire, écrire des scénarios plus que brillants, des dialogues qui ne le sont pas moins, mettre en scène avec virtuosité, réaliser un montage parfait qui fait qu’on ne voit pas passer les 2 heures et 20 minutes, et diriger une équipe d’acteurs et d’actrices avec maestria. On est endroit de détester ce type de cinéma mais Ruben Östlund estime que les films et la culture en général peuvent changer la société et qu’il faudrait être idiot pour penser le contraire. J’abonde ! Du cinéma défouloir qui permet de rire de la laideur du monde.
Le casting est aussi pléthorique qu’ahurissant de qualité. Ave Harris Dickinson, Charlbi Dean Kriek, Woody Harrelson, Vicki Berlin, Dolly de Leon, Henrik Dorsin, Zlatko Buric, Iris Berben, il n’y a pas une erreur dans les choix. Mais quel soin incroyable a été apporté à l’élaboration de ce bijou. Quelques chiffres : 120 acteurs auditionnés pour le rôle principal de Carl. Nombre moyen de prises de vue par scène : 23. 171 heures de rushes. 22 mois
de montage : 73 jours de tournage – en particulier sur l’ancien yacht d’Onassis -. Et pour la petite histoire, 1061 tests Covid réalisés pendant la production… tous négatifs ! Considéré par certains comme un anarchiste de droite et, par d'autres, comme un représentant de l'extrême gauche, notre réalisateur ne prend aucune pincette pour dézinguer tout ce que le capitalisme peut avoir de plus obscène. Un grand éclat de rire noir, le chaos porté à l’écran par un très grand cinéaste et sa caméra transformée en lance-flammes.