Joel Edgerton s’est lancé un pari risqué : celui de représenter à l’écran ces centres de réorientation sexuelle, en s’inspirant d’une histoire vraie. Et c’est là toute l’ironie : comment il réussit finalement à transformer une histoire qui a pourtant bel et bien vu le jour en un scénario à peine crédible.
Parce que oui, Boy Erased manque cruellement de crédibilité.
Tout commence déjà par l’histoire de Jared (Lucas Hedges) montrée à travers un montage alambiqué, qui nous perd plus qu’il nous guide et qui ne démontre pas un grand intérêt de son découpage aléatoire. On dirait qu’il s’amuse à nous perdre pour la seule raison de nous perdre. Peu d’éléments nous permettent de restituer la temporalité et le personnage de Jared ne semble pas évoluer et se dévoile à nous avec une palette d’émotions assez restreinte.
Le film se positionne sans trouver son propos. Le titre « Boy Erased » (et pour une fois on ne peut pas blâmer la traduction française) sous-entend que le protagoniste est complètement effacé par cette thérapie, mais cette dernière finalement n’occupe qu’une partie de sa journée et on a du mal à évaluer l’impact à cause du montage qui revient sans cesse dans le passé. Centre de thérapie ? Plutôt garderie de 9h à 17h. Quand on voit que le protagoniste demande à sa mère de l’aide pour faire ses devoirs de génogramme comme s’il s’agissait de simples fonctions mathématiques à résoudre, on se demande si, à défaut de guérir, ce « Love In Action » est même capable de blesser. À vouloir trop ridiculiser et critiquer la pratique, Joel Edgerton apporte de l’embarras sur toute sa production. On en vient à se dire qu’il a opté pour l’option de facilité : le centre de thérapie transpire l’échec et la réaction démesurée de Jared lors de son premier jour rend transparentes les intentions du réalisateur. Tous les indices sont là pour construire une désillusion qu’il subira plus tard en réalisant dans quoi il est embourbé, sauf que cette deuxième phase est très peu travaillée et on passe largement à côté.
Redondant dans son message et jamais pertinent, Boy Erased se perd et ne va plus retrouver son chemin.
Par l’éducation religieuse qu’il reçoit de ses parents (Russel Crowe et Nicole Kidman), Jared est contraint de subir la décision du père de le « guérir » tandis que la mère, elle, accepte la sentence sans piper mot. Mais toute la cruauté du processus réside dans le fait que Jared en est aussi convaincu. Alors baser toute l’intrigue sur son incapacité à s’y conformer me paraît déplacer le problème là où il ne devrait pas y en avoir : n’est-ce pas Jared et lui seul qui se met dans cette position inconfortable, l’obligeant à partir ? On le voit lors de son dialogue avec Gary (Troye Sivan) qui nous fait bien comprendre que le seul moyen de s’en sortir est de prétendre. Quel dommage que ce paradoxe ne soit pas un peu plus creusé, car on devine ici la raison pour laquelle ces institutions demeurent encore aux Etats-Unis. Cercle vicieux insoutenable, c’est là pour moi toute l’horreur de ces thérapies, qu’aucune réaction colérique disproportionnée ne pourrait substituer. Et ce dialogue qui précède son départ marque toute l’absurdité de l’intrigue : la résistance n’a pas lieu d’être puisqu’il n’a finalement rien à cacher, comme il le dit, lorsqu’on le questionne sur Henry (Joe Alwyn) : « ce n’est pas mon péché ».
Si la photographie est particulièrement poussée et la musique presque trop bonne pour être ici, le film manque d’émotions et de puissance. Les dialogues avec les parents, notamment à la fin, valent le détour et nous offrent une belle conclusion mais les acteurs secondaires, à l’effigie de Xavier Dolan et Troye Sivan sont plus des distractions qu’autre chose. Et alors que les deux heures se déroulent sous nos yeux, on se demande s’il ne manquerait pas toute une partie du film. Pourtant déjà très long pour le peu qu’il raconte, le film s’avère trop court pour développer son propos. Étrange de voir que sur deux heures, et avec un synopsis qui annonce un contentieux entre le jeune homme et le thérapeute principal, Victor Sykes (Joel Edgerton),
cet événement se produit à seulement 30 minutes de la fin
et en se posant comme un cheveux sur la soupe.
Boy Erased se borne à nous montrer ce qu’on savait déjà sur cette thérapie et même avec ce constat de départ, Joel Edgerton ne réussit pas à la déconstruire suffisamment pour nous marquer. C’est ainsi que Jared s’efface de notre mémoire, bien plus qu’il ne s’est effacé dans le film.