Ce premier long-métrage du couple Bescond/Métayer m’a évoqué deux autres films : premièrement, Polisse, de Maïwenn, pour sa façon de traiter un sujet sordide dans un film débordant de vitalité et même parfois d’humour. Polisse et Les chatouilles ont d’ailleurs en commun deux des actrices, Karin Viard et Carole Franck. Mais Polisse est un film choral, tandis que Les chatouilles se rapproche plus, dans sa démarche, du deuxième film auquel j’ai pensé a posteriori : Les garçons et Guillaume, à table ! Comme Guillaume Gallienne, Andréa Bescond réalise, en adaptant sa propre pièce, un film catharsis sur le traumatisme de son enfance et son rapport complexe avec sa mère. Ce parcours de résilience emporte le spectateur dans un tourbillon d’émotions, et comme dans le film de Gallienne, la scénariste et réalisatrice interprète son « propre rôle » romancé à différents stades de sa vie (sauf l’enfance, le rôle étant tenu par la petite Cyrille Mairesse).
Dans Les chatouilles, l’empreinte de la réalisatrice, c’est ce va-et-vient constant entre réalité et scènes plus oniriques : des scènes de danse où les corps se déchaînent ou bien des souvenirs rejoués, fantasmés même, avec l’irruption de personnages qui n’ont rien à y faire (Odette adulte et sa psy par exemple). Ainsi, elle brouille les pistes, perd à dessein le spectateur. Tout original qu’il soit, ce choix de narration trouve parfois sa limite : ce n’est que mon ressenti mais peut-être certaines scènes sont-elles de trop, et le moment où Odette trouve le courage de tout raconter à ses parents intervient assez tard dans le récit. Mais au moins on ne peut pas reprocher au film d’être académique et aux réalisateurs (on tend à oublier qu’Eric Métayer en est le co-auteur !) de manquer de personnalité !
L’ensemble du casting est formidable : Andréa Bescond, en tant qu’Odette adulte, est vive, délurée, provocatrice, même un peu vulgaire, comme l’antithèse de la petite Odette, enfant trop douce et trop muette quand on voudrait la voir crier sa colère et sa peur. Mais ces comportements opposés cachent la même souffrance silencieuse. Clovis Cornillac, le père, est un personnage profondément gentil mais manquant de volonté, mais se montre émouvant dans la fin du film. Pierre Deladonchamps marche sur des œufs avec ce rôle de pédophile, mais interprète avec finesse ce prédateur sexuel qui prend à contre-pied les clichés du pervers : Gilbert est d’une douceur et d’un charme monstrueux, un homme apparemment insoupçonnable. En fait, le rôle le plus ingrat – et c’est peu de le dire ! revient à Karin Viard, absolument époustouflante dans la peau de cette mère dure, éternelle insatisfaite, montrant rarement de l’affection à l’égard de sa fille. Le déni du viol qui s’est passé dans sa propre maison n’en n’est pas la seule cause, elle est une mère abominable dès le début ! On dirait qu’elle considère que depuis toujours, sa fille lui gâche la vie. Et, si le film montre bien les conséquences à long terme d’un viol sur un enfant, la relation entre Odette et sa mère est presque l’enjeu le plus important, la fille ayant besoin de renouer le dialogue avec la mère pour aller de l’avant. Leurs confrontations font partie des scènes les plus fortes (les scènes de viol étant suggérées avec toute la pudeur qu’il se doit sur un tel sujet). Un film personnel, puissant et plein de vie, à ne pas éviter sous prétexte que le sujet est dur !