Avis personnel. Deux magnifiques comédiens pour deux rôles magnifiques, au service d'un scénario intelligent et équilibré, servis par une mise en scène soignée, claire et précise, cela donne un film très difficile à démolir. Certains y sont arrivés quand même avec le sempiternel argument du "déjà vu cent fois" ou du produit estampillé "chasseur d'Oscars". Je veux bien mais, si l'on ne doit plus faire que du "jamais - ou rarement - vu" ou du "surtout pas oscarisable", cela deviendra compliqué de faire un film qui pourra plaire à ceux-là... Ici, dès le départ, on sait effectivement plus ou moins comment cela devrait se terminer mais la route pour y arriver est quand même très intéressante et agréable à suivre. Déjà, on n'en remet pas des couches et des couches pour dénoncer comment se pratiquaient le racisme et, surtout, la lourde ségrégation légale de l'époque. Ce côté un peu documentaire ne cherche pas à frapper les esprits en étalant tout ce qui arrivait de plus extrême dans ce domaine, mais vise plutôt à traduire le climat de perpétuelle humiliation qui sévissait, surtout dans le Sud, même à l'encontre des "gens de couleur cultivés et de parfaite éducation". Ici, à côté de cette dénonciation sans équivoque, on suggère en plus avec beaucoup de finesse et pas mal d'humour que les efforts à faire ne sont pas forcément à sens unique, que des préjugés sévissent dans les deux sens, même chez celui qui est victime et opprimé. Les dialogues entre Tony et le Doc, tour à tour acerbes, agressifs ou malicieux, sont superbement écrits, sans jamais verser dans le moralisme, le réquisitoire ou la plaidoirie. On veut aussi montrer que ce racisme n'est pas une généralité absolue: en l'une ou l'autre circonstance, on trouve un Blanc qui peut se comporter plus dignement avec le Doc. L'évolution de la relation patron noir/employé blanc suit donc son chemin en n'évitant pas la réalité conflictuelle et, si là aussi le film reste très prévisible, il ne perd jamais son intérêt pour autant. Ce "buddy movie" nous montre un Mahershala Ali/Doc Don Shirley magnifique de style, d'une élégance rare mais coincé dans une solitude exacerbée par sa qualité de concertiste de haut niveau. Pour lui faire face, Viggo Mortensen/Tony est incomparable en grand costaud, simple gars du peuple plutôt brut de décoffrage, mais efficace et loyal malgré ses réticences de départ. En personnages secondaires, comment passer sous silence la très adorable, très douce et très gentille épouse de Tony, Linda Cardellini/Dolores, dont le sourire ferait fondre les plus insensibles? Les amis et la famille de Tony, bien présentés au début, forment une belle brochette d'Italo-Américains aussi joyeuse et tonitruante que "culturellement" raciste,
si l'on excepte Dolores
. Avec un pianiste de concert comme figure centrale, la BO se devait d'être de qualité et elle l'est. Le choix très éclectique des morceaux joués par "Doc" peut satisfaire les plus difficiles et les chansons choisies par "Tony" pour montrer à son patron qu'il existe d'autres musiques de ses "frères de couleur" nous donne à réentendre quelques beaux succès de l'époque. Enfin, le film ne manque pas de nous offrir de belles images des paysages du Sud, de superbes demeures et des localités typiques. Une belle réussite, vraiment.