"Green book – Sur les routes du sud", c’est le genre d’histoire dont tout le monde a besoin. Si nous la découvrons aujourd’hui, nous la devons à la descendance directe de Tony Vallelonga, en l’occurrence son fils aîné Nick. Je crois qu’aujourd’hui, le spectateur peut remercier son opportunisme, lui qui a toujours su qu’il tenait un sujet pour le cinéma, de par sa nature authentique et la force qui se dégage de cette histoire. Une histoire qu’il aura pris le soin d’enregistrer en demandant à son père de la lui raconter encore et encore. Alors qui de mieux que lui pour veiller à la véracité des faits lors de l’écriture du scénario ? La réalisation est confiée à Peter Farrelly. Décision incompréhensible quand on sait que celui-ci s’est surtout illustré dans le domaine de la comédie ("Dumb and Dumber", "Mary à tout prix"), et jamais dans le registre dramatique ! D’autant plus incompréhensible qu’il n’a jamais réalisé un film en solo… Mais apparemment, ce bon Farrell a su faire table rase de tout ce qu’il savait pour nous offrir cette réussite. Car "Green book – Sur les routes du sud" est une réussite. Pas seulement au niveau de la réalisation, mais aussi au niveau du jeu d’acteur, de la musique, des décors,… de tout en fait. Tout en prenant le temps de nous présenter les personnages et l’environnement dans lequel ils évoluent, Peter Farrell en vient rapidement aux faits et à l’essentiel, autrement dit à ce pour quoi le spectateur est venu. Il embarque ce dernier à New York pour un long périple de deux mois qui va s’étaler tout au long des longs rubans tantôt froissés tantôt chaotiques que sont les routes du Sud. Le Sud profond. Le Sud profond de l’Amérique, là où la ségrégation demeure la plus forte en cette fin octobre 1962. Aaaah les routes du Sud !! Que les paysages qui les bordent semblent si beaux ! Malheureusement, nous n’aurons pas trop l’occasion de les observer. J’aurai aimé que le réalisateur s’y attarde davantage, histoire d’intégrer un peu plus de beauté idyllique et de poésie pour emporter un peu plus le spectateur. Je trouve que c’est dommage, mais d’un autre côté, c’est resté conforme au caractère de l’emploi du temps des deux hommes, particulièrement serré. Donc on ne peut guère en faire le reproche, d’autant que les paysages ont été mis à profit de façon littéraire et très poétique. En revanche, les routes du Sud ont été placées comme si elles représentaient une terre de compromis. Compromis au pluriel. En cela, je trouve ça absolument remarquable.
L’un est issu de la haute, l’autre occupe un poste peu glorieux mais néanmoins nécessaire dans un endroit fréquenté aussi bien par la mafia que par les personnalités les plus éminentes. L’un a un langage évolué, l’autre un langage populaire. L’un vit seul et sans attache, l’autre a une famille. L’un essaie de voir les choses avec réflexion et dignité, l’autre peut se révéler très radical. L’un est intransigeant mais sait faire preuve de relax attitude, l’autre aussi mais à sa manière. Chacun à sa manière. L’un est calme, l’autre a du sang chaud qui lui coule dans les veines. L’un parle comme un moulin à paroles, l’autre est limite taiseux. L’un est noir, et l’autre est blanc.
Deux mondes opposés qui se réunissent dans la même voiture. Deux mondes qui en cette année 62, n’avaient rien pour s’entendre. Et puis finalement, au long de cette virée « insensée » (vous découvrirez pourquoi dans le film), c’est tout un catalogue des sentiments humains qui nous est jeté à la figure. Un catalogue qui oppose deux vitrines, emplies de leurs éléments soigneusement et chirurgicalement triés : d’un côté la vitrine des sentiments les plus louables, et de l’autre les sentiments les plus détestables. Des sentiments pas compatibles mais qui conduisent à des actes révoltants quand ils sont opposés. Il n’y a pas d’images dures à proprement parler, tout est très regardable. Et c’est là peut-être mon seul et unique vrai bémol : j’attendais de ce film plus de force émotionnelle encore. Oh je ne dis pas qu’il n’y en a pas, bien au contraire. Mais j’attendais de vibrer au moins aussi fort que lors des films traitant la de la ségrégation raciale, le premier me venant en tête étant "Mississippi burning", lequel suscite bien plus que ça : un gros sentiment de révolte. Cela dit, le spectateur va sourire au gré des différentes anecdotes qui vont parsemer les nombreux kilomètres, des kilomètres synonymes de métier à tisser pour nouer solidement une formidable amitié, à la fois sincère et profonde. Aussi, les routes du Sud sont avalées en 2h10, en moins de temps qu’il en faut pour le dire. Le duo improbable est si attachant, le contraste offert par les deux personnages est si saisissant, que le spectateur aurait envie d’être dans cette fichue voiture pour ne pas perdre une miette de leur histoire. Autrement dit, leur épopée est irrésistible. Il faut dire que le talent des deux acteurs y est pour beaucoup ! Je connaissais le talent de Viggo Mortensen dans le registre dramatique ("Les promesses de l’ombre"), mais moins celui de Mahershala Ali, lui qui s’était pourtant déjà illustré dans "Free State of Jones". Et pourtant, c’est bien lui qui parviendra à nous faire monter les larmes aux yeux par son visage et son regard dévastés par l’incompréhension et la détresse, un mélange qui conduit souvent au bord du précipice qu’est le découragement, voire la désillusion. Mais c’est bien lui qui nous émerveillera quand enfin il lâchera tout à travers une séquence musicale mémorable. Je pense qu'il va falloir compter avec lui à l'avenir. Alors oui, je valide ce film, parce qu’il montre ce que l’être humain a de meilleur, mais aussi ce qu’il a de pire. Je valide ce film pour cette belle histoire, une histoire qui a réuni deux hommes pour la vie, deux hommes que tout opposait mais qui sont morts à seulement 3 mois d’intervalle.