Alice Wincotour propose, avec « Proxima », un long métrage de fiction à la limite du documentaire. Pour son film, elle a eu l’autorisation de filmer à la Cité des Etoiles et à Baïkonour, ce qui est sans doute très rare, voire inédit, pour le cinéma. Son long métrage, qui dure deux heures, montre par le menu toute la préparation physique, technique, mais aussi mentale, même si sur ce dernier point le film aurait pu en montrer davantage. Elle à mis son actrice Eva Green en condition en lui faisant subir en vrai toutes les épreuves des futurs spationautes, à l’exception toutefois de la centrifugeuse (apparemment, même un acteur ultra motivé ne peut subir la centrifugeuse). En utilisant la musique au minimum (ce qui est un peu dommage quand on a la chance d’avoir Ryuichi Sakamoto aux commandes), en alternant la vie de Stella en Allemagne avec celle de sa mère en Russie, en n’ayant pas peur des gros plans, des scènes un peu contemplatives, un peu silencieuses, Alice Wincotour veut clairement privilégier l’expérience humaine par rapport à l’expérience technique. Son film n’est pas très glamour, c’est sur, pas de scènes d’anthologie, pas d’effets spéciaux, une photographie volontairement sombre, presque éteinte, tout concoure à faire de « Proxima » le film spatial le moins spatial de l’histoire du cinéma ! Il est peut être un tout petit peu trop long, il y a quelques scènes qui tirent peut-être un petit peu en longueur, mais dans l’ensemble « Proxima » fonctionne bien, on ne s’ennuis pas, et on se prend même à voir arriver le décollage vers l’ISS avec une certaine tension mêlée d’impatience, comme Sarah. Sans vouloir déconsidérer les seconds rôles tenus par Matt Dillon ou encore Lars Eidinger, le film tourne essentiellement autour du couple mère-fille Eva Green-Zélie Boulant-Lemesle. Eva Green est tout à fait crédible en femme passionnée, qui voit enfin arriver le rêve de toute une vie de travail mais qui vacille devant la perspective de la séparation d’avec sa fille de 8 ans. Eva Green a été physiquement courageuse avec le rôle de Sarah, mais émotionnellement ce n’était surement pas évident de faire passer à l’écran ce déchirement silencieux. Quant à la petite Zélie, elle incarne une petite fille presque fusionnelle avec sa maman (divorcée) et qui cache mal son angoisse de voir partir sa mère si loin, si longtemps. 12 mois, à l’échelle d’une vie, ce n’est pas grand-chose. Mais quand on a que 8 ans, 12 mois, c’est colossal ! Le couple mère-fille, immédiatement crédible et attachant, est le véritable socle du film. Le scénario a beau montrer par le menu la préparation herculéenne de ces héros des temps modernes que sont les astronautes-cosmonautes-spationautes (respectivement américains, russes et européens) , il a beau faire une petite place à Thomas Pesquet, qui dans son propre rôle participe à un briefing, il a beau expliquer les protocoles et tout ce qui prépare aux lancements des fusées, le vrai sujet du film n’est pas là. Comment partir si loin, pour des missions si longues et si importantes en laissant sur Terre ceux qu’on aime ? D’une manière très différente, c’était plus ou moins le sujet du film « Ad Astra » sorti il y a quelques semaines : le grand défi de l’aventure spatial n’est pas juste technologique, il est dans la tête ! S’éloigner des siens, perdre de vue la Terre, l’esprit humain se prépare à ce défi inhumain. En choisissant de mettre en scène une mère de famille, on pourrait croire d’emblée que « Proxima » cherche à monter que c’est plus difficile pour une femme que pour un homme. Cette impression m’a été désagréable au début du film,
et j’ai même crains un moment que le scénario ne nous fasse un mauvais plan, comme « Finalement, je ne pars pas, c’est trop dur pour ma fille ! ». Il faut dire que Sarah doit gérer des problèmes supplémentaires que les hommes ne gèrent pas, dont le plus désagréable : le machisme. Etrangement d’ailleurs, il a l’air plus présent chez l’américain que chez le russe, alors que la société russe n’est pas forcément un modèle sur ce plan là. Mais le film ne dérape pas, puisque Sarah s’accroche et s’impose cette séparation, va au bout de son rêve, ne se sacrifie pas pour sa progéniture, elle s’accomplit en tant que spationautes et en tant que mère. Dans le générique de fin, Alice Wincotour montre que dans l’histoire de la conquête spatiale, les femmes ont pris leur place et on été mères en même temps : l’accomplissement féminin passe aussi par l’accomplissement de soi. C’est difficile, Sarah en souffre, sa fille en souffre, mais elle va au bout. J’aime bien le message du film, c’est féministe, mais sans les gros sabots qu’on aurait pu craindre.
Reste que « Proxima » n’est pas franchement un film grand public, je ne suis pas sure que tous ceux qui aiment les films sur la conquête spatiale y trouve leur compte puisque le film s’arrête au moment où le plus passionnant commence, le décollage. Mais j’ai bien aimé ce film si bien documenté qui, en plus de rendre hommage aux femmes de la conquête spatiale, rend aussi hommage à tous ces nouveaux explorateurs dont on sous-estime malheureusement aujourd’hui le courage et le sens du sacrifice.