David Roux signe avec « L’ordre des Médecins » un film subtil, à défaut d’être très engageant sur le papier. Ce réalisateur novice, puisque c’est seulement son deuxième long-métrage, livre un film bien fichu dans sa forme. Pas trop long et pas larmoyant malgré un sujet douloureux, il ne laisse jamais les scènes difficiles tirer trop en longueur. La musique, très variée, est très agréable à l’oreille. Mais au-delà de la musique, c’est aussi le travail sur le son qui est intéressant. Lorsque Simon est troublé, le son s’assourdit un peu, soulignant sans exagérer la confusion du personnage. On remarque aussi que, dés le générique, David Roux filme beaucoup les sous-sols de l’hôpital, parfois pour y accompagner un personnage, parfois sans personne, en tant que simple transition entre deux scènes. Au début c’est un peu déroutant et puis on se dit qu’il y a peut-être un peu de symbolique dans ces plans de tunnels, comme le chemin intérieur que doit parcourir son personnage principal, ou bien une métaphore du tunnel vers l’au-delà. Bon, là, je m’avance un peu… David Simon aime peut-être juste filmer les couloirs souterrains et les canalisations, allez savoir… Quoi qu’il en soit, son film passe bien, il part assez fort et même s’il n’y a malheureusement ni suspens, ni happy-end possible, on ne décroche pas. Peut-être pourrait-on dire qu’il tire un tout petit peu en longueur sur la fin mais c’est peu de chose. « L’Ordre des Médecins », ce n’est pas « Hippocrate » même si on y pense, inévitablement. Ici, il n’est pas vraiment question de filmer le travail des soignants et les difficultés de l’hôpital public en tant que tels, même si c’est évoqué bien entendu. Dans son film, David Roux filme surtout un homme, que la maladie de sa mère ébranle bien au-delà de sa qualité de fils. Jérémie Renier porte le film sur ses épaules, même si les seconds rôles ont bien écrits, bien incarnés et pas du tout cantonnés au rang de faire-valoir. Marthe Keller, notamment, incarne une mère d’une dignité et d’une douceur exemplaire, une femme qui tait sa détresse, sa douleur et même sa peur, sauf dans une scène où elle avoue avoir peur de la mort, mais toujours avec la retenue qu’il faut. Jérémie Renier est très crédible dans le rôle ambivalent de l’homme fort et faible, qui ordonne puis qui subit, qui doit de débarrasser de sa peau de médecin pour redevenir juste un fils, et ce n’est pas facile… En tant que médecin, Simon soigne, parfois il soulage, parfois il défie la mort et parfois il doit céder face à elle. On sent dés les premières minutes du film qu’il a bien intégré toutes les facettes du job : accepter la mort, parler des malades avec un certain détachement, se cacher même derrière les termes techniques pour éviter de dire des choses crument. Il forme ses internes et il formate ses externes dans cette optique là, il les formate comme il a été formaté par ses pairs, c’est ainsi que fonctionne la médecine en France, en ailleurs aussi. Mais subitement, le voilà dans le rôle d’en face, de celui qui doit entendre les mauvaises nouvelles, qui doit accepter la mort, qui doit batailler aussi avec l’administration de l’hôpital, qui doit entendre des expressions un peu bizarres : « Ta mère, dans cet état je ne remets pas les mains dedans » de la part d’un chirurgien par exemple. Ce qui lui paraissait normal, habituel devient insupportable.
Au début, il continue d’exercer pendant l’hospitalisation de sa mère mais très vite cela devient impossible, il ne peut pas incarner les deux rôles en même temps. Alors il prend congés et bascule du côté du fils du patient.
Ce chemin vers le deuil, il le suivra en tant que fils et non en tant que médecin, juste parce faire autrement lui est impossible. En même temps que leur mère se meure, Simon et sa sœur entame un virage dans leur vie personnelle :
lui noue une relation avec une collègue et sa sœur décide de mettre fin à un mariage fichu. Loin d’être anecdotique, ses deux sous-histoires prennent sens avec la maladie de leur mère, je pense, comme si cette épreuve était l’occasion d’un bouleversement pour tout le monde, d’une remise en question, même inconsciente.
Le scénario laisse entendre, sur la fin, que peut-être Simon sera un médecin différent après la mort de sa mère, un médecin plus sensible, plus bienveillant, un meilleur médecin ? Le scénario ne s’étends pas là dessus, laissant le spectateur spéculer sur cette question : un médecin plus sensible est- t-il un meilleur médecin ? Voilà une question à laquelle je suis bien incapable de répondre. En résumé, « L’Ordre des Médecins » ne va pas marquer les esprits autant que « Hippocrate » avait pu le faire en son temps, son sujet est plus intime, plus subtil et probablement moins fédérateur. Mais il n’en demeure pas moins un bon film, bien écrit, bien interprété et qui mérite qu’on accorde 90 minutes de son temps, malgré la lourdeur de son sujet.