Vivarium s’ouvre sur l’expulsion hors de leur nid de petits oisillons qui meurent au bas de l’arbre qui les abritait, leur offrait un toit, chassés par de nouveaux occupants soucieux de trouver là une habitation idéale. Ce mouvement de substitution constitue la dynamique profonde du long métrage de Lorcan Finnegan qui a l’intelligence de soigner ses quelques coups de théâtre afin de les engluer dans une banalité sordide et amollissante : en attaquant par le prisme du surnaturel la banlieue pavillonnaire américaine telle que représentée par Tim Burton notamment dans Edward aux Mains d’argent, le réalisateur réorganise un ordre des choses et du monde qui décalque à peu près le fonctionnement normal de notre société occidentale, mais dont l’automatisation évacue les excès, les bigarrures, les défauts, tout ce qui pouvait renvoyer à de l’humain vivant. Et si la mise en place de ce vivarium risquait de prime abord de tomber le film dans les travers du laboratoire anthropologique soucieux d’appliquer une formule, de mener à son terme une expérience scientifique – tel est le cas de La Plateforme, par exemple –, son traitement refuse le théorique pour se cantonner à suivre le couple de protagonistes dans son nouveau quotidien, un quotidien qui radicalise ses occupations antérieures en incitant Tom à creuser un trou devant la maison dans l’espoir d’y trouver des réponses, lui qui était paysagiste et qui tente, on le comprend, de se réapproprier le paysage avec lequel il doit cohabiter, en convertissant la profession de Gemma, institutrice de maternelle, en celui de mère de substitution. Dit autrement, les personnages s’enferment dans leur travail au point de se détruire la santé et d’altérer leur complicité mutuelle. Préfiguration du cycle consumériste dans lequel s’engagent les classes moyennes : acheter une belle maison à crédit, se tuer à la tâche pour rembourser ce crédit et payer des études aux enfants, mourir. Qui plus est, le garçon qu’on leur refile incarne cette trajectoire destinale placée sous le signe de la fatalité : de petit consommateur de céréales trempées dans du lait, il deviendra vendeur de rêve, agent immobilier en somme, répétant la boucle de la consommation. L’espace de la maison est le théâtre non pas d’un passage des âges et des êtres mais du ressassement des mêmes images : la télévision diffuse des programmes mystérieux où se meuvent des formes, sans texte apparent, les étagères supportent des bibelots mais aucun livre, aucun support culturel. Ce que met en scène Vivarium, c’est l’automatisation galopante de la pensée, la mort de la réflexion et de l’esprit critique au profit d’une obéissance à des signaux lumineux – le soleil se lève et se couche – et sonores – les cris du gamin. Le mystère inhérent à cette banlieue pavillonnaire est un faux mystère, du toc : la route séparant les maisons fait un bruit de sol d’hypermarché quand les talons de Gemma la foulent, les coups de pelle et de pioche amènent Tom à creuser sa propre tombe et découvrir les corps des anciens occupants, preuve de l’engrenage mécanique dans lequel il est pris. Le film exhibe de façon remarquable les dangers de l’uniformisation qui ne peut que déboucher sur de l’impersonnalité : le domicile familial est une maison-témoin sans désordre ni culture, les produits de consommation sont livrés dans un carton sans que le couple n’ait au préalable passé commande. Vivarium révèle au grand jour le processus de dépersonnalisation de soi au profit d’un confort de vie qui n’est que vie déléguée par procuration, vie manquée, vie pas vécue. Une œuvre passionnante qui semble annoncer la naissance d’un cinéaste, Lorcan Finnegan.