C’est par des biopics ou documentaire que l’Américain Julian Schnabel s’illustre derrière la caméra. Il y développe toute la complexité de l’Art, de sa conception même à son exploitation selon ses œuvres. Nous pouvons citer « Basquiat », « Avant La Nuit », « Lou Reed's Berlin » ou encore l’exaltant « Le Scaphandre et le Papillon », où le metteur en scène signe une démarche loin d’être arbitraire. Il arrive alors à un épisode dramatique dans sa carrière, où le peintre néo-impressionniste le rattrape, car il y a encore quelque chose à raconter derrière certaines œuvres. Van Gogh constitue alors une option prometteuse, car son affiliation avec ses portraits évoque bien des méandres du temps et notamment celles qui ont rongé l’artiste jusqu’à sa disparition.
Nous y découvrons donc un Vincent Van Gogh très tendu et très désemparé. Willem Dafoe lui donne d’ailleurs une touche très poignante dans les règles de l’art. Codifié au mieux afin que le support tienne la route, on décide de garder l’authenticité pour les moments où le peintre est isolé mentalement. La caméra subjective nous met en relation avec la quête de Vincent. Et c’est là le point fort du réalisateur qui sait mettre en avant le parti-pris de l’artiste torturé, en recherche d’inspiration malgré l’ombre de l’éternité qui le guette. Et la particularité du cadre nous démontre un fossé qui nous sépare du génie qui a eu une meilleure clairvoyance que nous autres, aussi paysans que son entourage. Personne n’arrive à le comprendre, pas même Paul Gaugain (Oscar Isaac), un confrère à la vision trop brusque selon lui. Il faudra toutefois s’attendre à une adaptation partielle de l’artiste, car les faits qui retracent sa vie ne sont pas toujours raccords, mais cela aidera davantage à comprendre les motivations et la puissance de ses coups de pinceau.
L’évolution du personnage est à la couleur de ses portraits, qui trouvent peu à peu une teinte plus éclatante. L’image est sublimée par un lyrisme qu’on reconnaît au réalisateur, adepte et même expert dans l’adaptation. C’est pourquoi son voyage vers le Sud fut une aubaine pour lui, car le soleil lui-même le guidait vers des tableaux somptueux, où la finesse de ses traits fut à l’image de sa rapidité de capture. À la fois chargé en émotion et en encre, chaque portrait qu’il dessinera alors lui apportera un peu plus la paix, celle qu’il n’arrivait pas à trouver, malgré le soutien ambigu de son frère cadet Théo (Rupert Friend). Le contact humain ne l’a pas tant aidé et cela nous est illustré avec force, jusqu’à en perdre la raison, ou même l’écoute de son entourage généreux et pourtant imparfait.
Le mythe de Vincent n’est pas toujours pertinent si l’on retrace le parcours de sa vie, c’est pourquoi ce court mais riche segment, qui l’oppose à ses confrères, lui a donné l’élan qu’il convoitait pour enfin se dessiner les ailes dont il avait besoin. « At Eternity’s Gate » évoque ainsi la tendresse à travers des instants simples et efficaces, notamment dus à un interprète de qualité qui ne cache rien de son humanité. Il fallait en apprendre plus de son vivant, afin de mieux comprendre ce qui le possédait et ce qu’il ne possède plus, à savoir ses toiles. Et tout le récit mentionne cet héritage comme une nécessité, car sans la mort d’un artiste comme lui, il y avait peu de chance de le voir triompher de son vivant. Cela remet alors en question cette temporalité que le peintre avait de toute évidence anticipé dans ses exploits. Il a réussi à tenir son discours à main levée, afin qu’il résonne dans le futur, là où il n’a sa place qu’à travers ses œuvres.