« Avant-hier soir, je suis allée voir Bergman Island de Mia Hansen-Løve au cinéma. » Que s’est-il passé, ma D…, pour que tu résistes si longtemps et que tu cèdes avant-hier soir ? Moi j’ai vu le film hier soir et maintenant je veux bien croire que ça a suffit (en plus du retour de l’été à Paris). Évidemment, « après 3 ans sans nouvelles » de moi (quelles nouvelles ? nouvelles péripéties ?) (ta mère a dû filtrer celles que je lui ai données pour ton bien), toi tu n’en donnes pas. (Si ça se trouve, tu restes à Paris, et c’est une raison encore plus forte de ton message : et si on recommençait sans la distance ?)
Comment j’interprète ton message ? – Salut P..., je suis prête à retenter quelque chose ! – Salut P…, j’ai assez récupéré ou je me sens assez solide avec mon copain pour juste te dire 2 mots ! – Salut P…, à mon tour de te perturber, de prendre les choses en main, de te montrer que mon amour fait encore des ravages… en toi ! (ce que tu ne savais pas puisque tu ne m’as jamais écrit).
En tout cas, qu’on le veuille ou pas, la relation est repartie, le pont est reconstruit, et surtout ce film c’est comme si on l’avait vu ensemble ! Toi te sentir si amoureuse en amour, moi si incompris des autres. Je me souviens bien : tu savais que je t’aimais mais tu me provoquais et tu avais raison car mon amour a toujours été un peu mou face au tien – moins mou que fuyant ? Peut-être que je suis un vrai solitaire qui préfère travailler à m’aimer plutôt que les autres… C’était ta façon de me retenir : tu me faisais douter de mon amour dans l’espoir que ça me ramène à toi, au risque que je m’éloigne.
C’était un piège pour nous 2, ce film (et pour tous les « amours de jeunesse », et donc pour tous les couples actuels… donc pour encore plus de personnes que le film de Bergman sur le divorce !). Tu as besoin de moi pour t’en démêler. Je te retrouve dans l’héroïne du film car, comme qui aime profondément le ciné et la littérature, toi non plus tu ne distingues pas Vie et Fiction. Comme Madame Bovary.
Comment l’écriture émerge de la vie de la réalisatrice ? Par rapport à son « maître » et à son compagnon (2 hommes), qui lui comme l’autre écrivent des histoires effrayantes, qui ont à voir avec la Vie (la peur, l’angoisse, la mort), mais pas avec leur vie (Fårö, l’ulcère) [Répondre sur Allociné ? Elle lit les critiques amatrices], pour faire peur aux gens qui n’ont pas assez d’occasions d’avoir peur, avec du noir et blanc fantomatique et des zombies qui « oui mais non » n’existent pas.
Je viens de comprendre : c’est la fille de la fille du film qui joue dans le film dans le film. Le film du personnage et le tournage de ce film se confondent avec le moment et le lieu de l’écriture, alors que le personnage elle-même est venue se confronter à Ingmar Bergman. « My love » : son vrai amour (pas le cinéma, comme ces pervers inconséquents), c’est sa fille (June : jeune, joue, Junon la fertile, Juin qui prépare l’été), et c’est elle (Løve). C’est la vie, l’amour comme on le vit vraiment… [« Je t’ai répondu quelque part ! » je vais lui dire, elle qui n’aime pas les devinettes !] On n’a pas appris à aimer plusieurs personnes en même temps, à gérer un amour qui nous a formé avec un amour qui nous soutient aujourd’hui.
Le problème, à communiquer à travers ces films, c’est qu’on interprète tout pour soi ; en fait, on ne sait plus si on interprète ou si c’est dans le film. Lui est parti à 18 ans, mais c’est elle qui a eu l’enfant (dans le couple des personnages principaux, ils l’ont eue ensemble, c’est souligné) et lui des galères en amour. [J’espère que tu ne m’en voudras pas de mêler nos vies à celles du film et de son public] Ou : elle a dû le remplacer, lui n’a pas eu besoin. Une qui est triste et l’autre qui est juste contrarié.
Et le perso de l’étudiant ? Est-ce qu’il rappelle à l’héroïne un amour enfoui, qui est le vrai sujet du film qu’elle écrit ? Elle, en tout cas, elle ne fait rien avec lui et reste avec le père de sa fille. Contrairement à Bergman, elle ramène le ciné à sa vie… et notre vie au ciné ! N’est-ce pas, D… ?