Dans « Gloria », son quatrième long-métrage, en 2013, le chilien Sebastián Lelio avait confié le rôle-titre à Paulina Garcia, une actrice de son pays dont la prestation avait été si remarquée qu’elle lui avait valu un Ours d’argent de la meilleure actrice à la Berlinale 2013. Non content de ce succès, le cinéaste récidive en proposant aujourd’hui le remake de son propre film, mais situé, cette fois, du côté des États-Unis, très précisément à Los Angeles où Gloria (à qui est accordée Bell comme nom de famille) travaille dans un cabinet d’assurances. Le réalisateur chilien rejoint ainsi le groupe assez restreint des réalisateurs ayant tourné un remake d’un de leurs propres films (avec Hitchcock, Leo McCarey ou Raoul Walsh, parmi d’autres).
La bonne, l’excellente raison, d’aller voir « Gloria Bell », même si l’on a déjà vu la version de 2013, c’est que l’actrice Julianne Moore, à qui, cette fois-ci, est confiée le rôle principal, n’a rien à envier à sa consoeur chilienne. Son interprétation, remarquable, emporte le film tout entier vers des idéaux de subtilité et d’émotion. Et l’on ne peut être que profondément touché par un personnage joué, interprété, avec autant de raffinement.
Pourtant, Gloria Bell n’est pas quelqu’un d’extraordinaire. On pourrait même dire que c’est quelqu’un d’ordinaire (si toutefois ce mot peut réellement désigner qui que ce soit). Divorcée depuis longue date, mère d’un fils, dont le mariage va déjà à vau-l’eau, et d’une fille qui projette d’aller faire sa vie loin de Los Angeles, Gloria Bell s’efforce de goûter encore à la vie et, même, si possible, de se construire une vie heureuse. Pour ce faire, elle participe à des groupes d’expression corporelle et fréquente des lieux où l’on danse.
C’est ainsi qu’elle rencontre Arnold (John Turturro), homme esseulé mais ne manquant pas de charme depuis qu’il a réussi à se guérir d’une obésité. Gloria, en tout cas, se laisse séduire et entrevoit un bonheur possible en compagnie de cet homme. Tous deux partagent d’ailleurs des moments de complicité et d’épanouissement mutuels. Mais tout n’est pas si simple et Gloria Bell s’effraie du trop grand désir de son partenaire. Ce que montre parfaitement le film et ce que joue idéalement Julianne Moore, c’est l’évanescence du bonheur. Quand on croit le tenir, il est déjà ailleurs. Ou, comme chantait Léo Ferré, « le bonheur, c’est du chagrin qui se repose ». Il faut donc s’efforcer de ne pas réveiller le chagrin, ce qui, bien sûr, n’est pas possible.
Dans le film, une scène, assez brève, donne à elle seule, d’une certaine façon, tout son contenu. On y voit Gloria Bell, en compagnie d’autres personnes, lors d’une séance d’expression de groupe. L’exercice proposé par l’animateur consiste à croiser ses mains au-dessus de la poitrine et à rire à gorge déployé. Gloria Bell, comme toutes les personnes présentes, rit, elle rit très fort, tout le monde rit, mais d’un rire forcé, un rire qui sonne faux. Comme s’il fallait présenter aux autres un visage heureux alors qu’au fond, c’est le malheur qui est là et c’est lui qui l’emporte. Mais cela, bien sûr, il ne faut le montrer à personne. Julianne Moore, elle, se surpasse sur ce terrain-là : elle ressemble à quelqu’un d’enjoué mais l’on perçoit constamment combien son entrain est fragile.