Filmer un « losers », quelqu’un qui a beau tout tenter mais ne réussira jamais, un homme à la grande bouche jamais fermé qui compense avec son apparence le manque de confiance en soi causé par les tonnes d’échecs s’est déjà vu de nombreuses fois dans le cinéma pour des histoires de tout temps, passant de Aladdin jusqu’à The Big Lebowski en passant par Lost in Translation notamment. Les classiques dans ce domaine sont nombreux et même si le potentiel d’attache au personnage y est très grand, se détacher de la masse est cependant assez compliqué pour Uncut Gems qui reste malgré tout un très bon film agréable à voir. Les frères Safdie proposent ainsi un thriller suivant un père de famille bijoutier, mais surtout endetté jusqu’au cou qui va devoir user de magouille et de manipulation pour s’en sortir. Etant donné que toute l’intrigue repose presque entièrement sur le personnage principal et la manière dont celui-ci va pouvoir s’échapper de l’étreinte qui se resserre sur lui, il doit alors se montrer parfait en tout point pour le spectateur et notamment sur le jeu, la crédibilité et la manière dont il est montré, point sur lequel il y a à redire tant Adam Sandler est caricatural par moment même si cependant le film en joue. En effet, cet archétype d’un personnage juif qui ressent la nécessité de se faire remarquer prête au comique par son extravagance, sa naïveté attachante par son envie maladive de plaire, d’impressionner, que ce soit aux yeux des femmes où des impressionnants basketteurs qui appartiennent au « grand monde », nous donnant aussi l’envie qu’il réussisse même si le manque de subtilité par moment dénote parfois pour nous faire entrer pleinement dans l’action.
Puisque par la suite, les multiples péripéties sont quant à elles très bien amenés, bien que manquant parfois de subtilité et d’originalité, le rythme est à couper le souffle tant l’action s’enchaîne sans pause avec une fluidité total et une mise en scène à son service qui en donne un sentiment éprouvant, presque fatiguant par certains moments tant la gêne et l’oppression ressentit est grande pendant certaines séquences. En effet, l’enchaînement perpétuelle d’action à l’écran permet, en plus de capter totalement notre attention, de réduire par conséquent notre temps de réflexion quant à l’histoire et sa résolution possible, minimisant notre capacité d’anticipation, ce qui fait qu’on est toujours surpris, ou en tout cas captivé par les différentes péripéties du héros. La mise en scène des frères Safdie appuient sur cet enchaînement d’action par beaucoup de mouvements, que ce soit de la caméra, des comédiens, ou encore par la ville de New-York en elle-même et ses millions de personnes qui y travaillent, amplifiant cette sensation d’étourdissement en extérieur. Avec en plus pour mettre en valeur tout ceci, cette oppression abusive lors de scènes de tension, crucial pour l’histoire, où les deux réalisateurs se régalent de plans très courts où tous les personnages parlent en même temps, cris, s’insultent avec très souvent plusieurs actions qui s’entremêlent où on étouffe, on ressort éprouvé de ses séquences, presque fatigué tant le rythme et la multitude d’éléments parasites et dérangeant défilent à l’écran.
Toutefois cette perpétuelle accumulation d’action empiète ainsi sur une quelconque réflexion morale ou politique où tous les enjeux sont expliqués de bout en bout avec quelques tentatives qui restent assez énigmatiques, sans que jamais rien y soit développé. La première séquence en Ethiopie sur les conditions de travail désastreuse qui ne sera plus jamais évoqué si ce n’est dans un vague dialogue avec Kevin Garnett qui sort un peu de nulle part où on semble dénoncer quelque chose sans pour autant en faire quoi que soit de pertinent. Par ailleurs ces images zoomées de diamant et de sang à la fin offrent de belles images qu’on saura apprécier même dans le reste du film, mais ne veulent rien dire et n’offrent réellement aucune analogie qui vaille la peine d’être interprété. En revanche, un des aspects les plus intéressant du film est sans doute le parallèle sportif auquel le film prête attention. L’athlète avec cette vie sans cesse vue, décortiquée, analysé, jugé et remise en question où le bonheur individuel lui-même est remis en jeu par le désespoir de n’être heureux que par un succès, une victoire encore et toujours, jusqu’à ce que malheureusement le sort de la vie les rattrapes, et que ces corps empêchent à un moment donné de se renouveler, d’évolué toujours plus haut. C’est bien seulement par cette idée qu’il est possible d’illustrer le train de vie d’Howard Ratner, qui ne peut s’empêcher de vivre qu’à travers l’œil admiratif des autres, laissant un vide d’autant plus lourd lorsque la défaite survient, mais où la victoire n’apparaît finalement que lorsqu’on a plus rien à perdre.