Il n’est pas besoin d’être une addict à « Faites entrer l’Accusé », ni de parfaitement connaitre les rouages de la machine judiciaire, ni même d’avoir entendu parler de la nébuleuse affaire Viguier pour être captivée par le film d’Antoine Raimbault. Ce jeune réalisateur s’attaque à un genre de film très particulier, ce que les anglo-saxons appellent le « court movie », ou film de procès en bon français. C’est un genre difficile car l’essentiel doit passer par la parole, et « Une Intime Conviction » ne déroge pas à la règle, c’est un film, non pas « bavard », mais « éloquent ». A mi-chemin entre le polar et le film de procès, « Une Intime Conviction » est captivant grâce à deux grandes qualités. Tout d’abord, son rythme est soutenu, et même presque frénétique par moment grâce à un montage à la fois dynamique et intelligent. Ce qui est très bien retranscrit à l’écran, c’est à la fois l’obsession dévorante de Nora, qui écoute des heures et des heures de conversations téléphoniques en apparence anodines (en apparence seulement) mais aussi l’urgence du procès, qui ne durera pas une journée de plus que ce qui était prévu et qui scellera le destin d’un homme, quoi qu’il arrive. Et puis, seconde qualité, la qualité du scénario et des dialogues, parce que même en mettant de côté la plaidoirie finale de Maître Dupont-Moretti, qui est largement à la hauteur ne nos espérance point de vue éloquence, tout le reste du film est intelligemment dialogué. « Une Intime Conviction » s’adresse à l’intelligence du spectateur et le scénario ne donne pas la clef de l’affaire.
Le contraire aurait été impossible puisque jusqu’à ce jour, jamais Suzanne Viguier n’a été retrouvée, ni morte ni vivante.
Le film ne cherche pas la vérité, il cherche à montrer ce qu’est la justice, comment elle fonctionne, comment elle raisonne, comment elle doit s’appréhender. C’est bien plus ambitieux qu’un simple thriller. Avec une réalisation moderne, une musique sympathique et pas trop envahissante et une affaire judiciaire qui ressemble presque à un cas d’école, Antoine Raimbault avait tout pour réussir son long-métrage, et il y parvient. 1h50 sans aucun temps mort, où l’on sent que tout peut basculer à tout moment d’un côté comme de l’autre. Bien-sur, si on connait un peu l’affaire en question, on sait quel sera le verdict du procès en appel. Mais même dans ce cas, où le suspens ne peut plus fonctionner, l’intérêt ne faiblit pas. Le casting y est pour beaucoup avec deux rôles titres formidablement tenus. Marina Foïs d’abord, en mère célibataire embarquée dans une quête obsessionnelle qui la met en danger personnellement et professionnellement, et qui dérive sans s’en rendre compte vers une sorte de vendetta personnelle envers Olivier Durandet, l’amant de Suzanne Viguier et dont le rôle et l’attitude est terriblement trouble. Elle confond le rôle de l’avocat et le rôle de la Police et Maître Dupont-Moretti a bien du mal à lui faire comprendre qu’elle dérive et qu’elle dessert la cause qu’elle défend. Marina Foïs est formidable, à la fois touchante mais aussi légèrement inquiétante, on sent que cette affaire remue en elle quelque chose de très personnel mais on n’en saura rien, ce n’est même pas suggéré, c’est juste une forte impression. Eric Dupont-Moretti, avocat pénaliste très connu, flamboyant, d’une éloquence redoutable, est incarnée par un très grand acteur : Olivier Gourmet. La scène de sa plaidoirie est magistrale, il plaide le bénéfice du doute et juste cela, il remet le curseur où il doit être, il réaffirme des principes de Justice de base, et il le fait avec un talent qui saute aux yeux, et surtout aux oreilles. On peut penser ce qu’on veut du vrai Eric Dupont-Moretti mais c’est un avocat talentueux, incisif, qui n’a jamais eu peur des dossiers (très) difficiles et qui a une haute opinion (… « de lui ! » dise ses détracteurs) de la Justice et de ses principes. Le scénario de « Une Intime Conviction » pose plusieurs questions fondamentales dont la plus importante est celle-ci : un accusé qui n’est pas sympathique, qui ne se défend pas ou mal est –il forcément coupable ? Le vrai Jacques Viguier, comme Laurent Cantet dans le film, est un homme fermé, qui ne pleure pas, qui ne crie pas son innocence, à qui la rumeur publique à attribué tous les vices, il se défend mal, il occulte,
il ment peut-être
, il subit ce procès et le traverse comme un fantôme. L’affaire Viguier est presque un cas d’école : une enquête à charge, une opinion publique qui se livre à toutes les rumeurs, toutes les suppositions, une presse avide de vendre du papier er surtout, un procès sans cadavre, et vide de preuves matérielles. « Une Intime Conviction » vient rappeler une chose simple :
pas de preuve, pas de culpabilité, sinon c’est la fin de la Justice et des haricots !
S’il est des passages édifiants sur le fonctionnement d’une enquête de police et sur le fonctionnement de la Justice (ou les ego s’affrontent sur le dos des justiciables), il est aussi de longs passages où les principes fondateurs sont martelés, de façon claire, intelligente et intelligibles par tous. Ces centaines d’heures d’écoutes téléphoniques, ce travail de fourmi fait par Nora, c’est un travail de police et on ne comprend pas bien, devant ce film, pourquoi il est fait par une femme qui n’est ni avocate, ni policier, ni juge, juste une citoyenne. Je ne connais pas suffisamment l’affaire pour savoir ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas dans le film d’Antoine Raimbault, il y a des choses assez choquantes comme celle-ci qui laissent un peu songeur. Mais « Une Intime Conviction » est un film indéniablement pertinent, réussi, une belle performance d’acteur et une démonstration assez implacable de ce qu’est (et aussi de ce que devrait être) la Justice en France. Pas de doute, cela mérite bien une petite séance cinéma d’1h50.