Je mets 4 étoiles et pas 5 mais cela demande explications. Un premier film est rarement une réussite cinématographique et c'est le cas. Quelques naïvetés, quelques emballements, quelques négligences (comme la première scène de ballet qui ne s'imposait pas) quoi de plus normal ? Cela dit, la caméra est bien placée, on n'abuse pas des travellings ni des effets « spéciaux », la direction d'acteurs est correcte sauf pour Rossy de Palma qui en fait trop comme chez Almodovar mais comment un réalisateur débutant aurait-il pu imposer ses vues à cette vedette confirmée ? Bref tout ça est prometteur.
Le scénario ? C'est l'oeuvre d'un poète romantique à la Shakespeare doublé d'un amoureux de l'Espagne. Disons tout de suite qu'il n'y a aucun rapport entre ce film et l'opéra éponyme, même si Meilhac et Halévy ainsi que Prosper Mérimée sont cités au générique, sans doute pour des raisons juridiques, à cause du titre. Mais pas une seule mesure de la célébrissime musique de Bizet. La seule trace de la Carmen que tout le monde connaît se trouve dans la référence hispanique. Clairement, Millepied préfère les latinos et les andalous aux yankees. Normal sans doute pour un bordelais devenu californien, deux lieux où la culture hispanique est très présente.
Bref, je me suis plus retrouvé dans une adaptation latinisante de Roméo et Juliette que dans la Carmen que nous connaissons tous. Certes, il s'agit d'une mexicaine et d'un yankee à la place des Montaigu et des Capulet, mais on sait très vite que cet amour est impossible et finira en tragédie.
J'y vois aussi un message subliminal de Benjamin à la mère de ses enfants, genre « Tu n'aimes pas la France et je n'aime pas les USA, je ne sais pas comment nous allons faire ni où nous allons vivre, mais seule la mort nous séparera »
Le film débute sur un superbe flamenco classique dans la pure tradition andalouse, mais sans musique et en plein désert puis fait la part belle aux danses inspirées du tango sur de très beaux violons tendrement obsédants. Le match de boxe, dansé par un groupe de parieurs qu'on n'a pas envie de croiser le soir, sur un rapp américaint, très violent, est un moment de cinéma qui me restera. Rien à voir, là encore, avec la mi-vrerie de West side story.
La photo est très réussie, la bande-son au top, les décors travaillés. L'interprétation est correcte, surtout celle de Melissa Barrerra, à qui j'ai trouvé parfois un faux-air de Nathalie, autre message subliminal à mon avis. Elle chante très bien et danse plutôt bien. Paul Mescal, irlandais au nom mexicain (les hasards des immigrations peut-être) est musclé mais son jeu manque d'épaisseur et de puissance, ce qui n'est pas surprenant chez un jeune acteur. Il sera meilleur, je l'espère, dans le Gladiator2 qu'il va tourner avec Ridley Scott et en tous cas forcément meilleur que le gros et gras Russel Crowe, peu crédible dans la première version.
Benjamin Millepied est un artiste qui ne doit pas aimer être catalogué. Le film commence comme un trhiller puis un road-movie pour fuir la frontière mexicaine, puis une histoire d'amour, puis un drame social et enfin une tragédie shakespearienne. Tous ces genres sont effleurés, jamais creusés, mais c'est évidemment voulu. Ne pas s'enfermer, rester libre pour créer de la beauté, de l'émotion, du mystère. Dès lors, la cohérence est dans le rêve, dans la poésie, dans la création. Cette Carmen rêve sa vie au moins autant qu'elle la vit et son compagnon veut bien la rêver avec elle, de sorte que les séquences de réalité alternent avec un certain bonheur avec les souvenirs ou les projets de l'héroïne, mais que peuvent des jeunes gens amoureux contre la machine américaine qui, elle ne distille pas du rêve mais des balles de fusils.
Un premier film que je recommande vivement, avec ses balbutiements, pour les fenêtres qu'il ouvre et les espoirs qu'il suscite.