Il existe deux manières d’aborder ‘Le monde est à toi’, deuxième projet très attendu de Romain Gavras : La première est de se souvenir qu’il suffit qu’une tendance culturelle atteigne ses limites et entre en décadence dans le monde anglo-saxon pour que l’Europe continentale, et singulièrement la France, se mette à la considérer comme la dernière mode à suivre . Ainsi, alors que l’excitation de la nouveauté que provoquaient les films de dealers de Guy Ritchie renvoie aussi loin que la fin des années 90, c’est en 2018 que Romain Gavras livre le premier “Guy Ritchie-movie” à la française...et tout y est, fidèlement francisé, de la bande son tonitruante à la mode du moment aux ambitions vulgaires et au luxe tapageur de petites frappes aux rêves démesurés: ici, autour de François, médiocre petit dealer, on retrouve Isabelle Adjani toujours aussi à l’aise dans les rôles de frappadingue puisqu’elle incarne sa maman, à la tête d’un gang de kleptomanes de luxe ; Vincent Cassel en vieux taulard tout juste sorti du mitard qui ne comprend plus rien à la façon dont le monde tourne et une galerie de kaïra tous plus enragés et arrangés les uns que les autres, sans oublier Philippe Katerine et François Damiens là où on les attendait, c’est à dire dans des petits rôles aussi hallucinants totalement barrés. Il faut un petit temps d’adaptation pour se couler dans le moule du film, en fait, le temps de cesser de râler contre un ciblage culturel “9.3”, expressions, état d’esprit et accent inclus, exclusif et envahissant, à force de vannage de cours d’immeubles et de dialogues partiellement incompréhensibles : clairement, Gavras exclut une partie du public potentiel et s’en fout complètement. C’est que rien ne tient vraiment debout tout au long du film, à commencer par François, qui ne rêve pas de toucher le jackpot grâce au casse du siècle mais plus prosaïquement d’une vie tranquille à exporter des Mr Freeze vers le Maghreb. Tout le film est comme ça, contradictoire, décousu, bancal, boiteux, truffé de ruptures de ton, une seconde ancré dans le pathos et la mélancolie et la suivante plongé jusqu’au cou dans un bon vieux délire sous acide, avec un François Damiens qui explique l’esprit de bienveillance avec lequel il exploite des clandestins érythréens, des bastons avec des Anglais bourrés dans les bars de Benidorm et Vincent Cassel qui découvre Youtube et voit des Illuminati partout. Sur le papier, ’Le monde est à toi’ avait toutes les raisons de virer au machin informe et à la bonne idée avortée par l’inconstance et la négligence du réalisateur...sauf le style très personnel de Gavras a tôt fait de le transformer en une sorte de collage punk délirant au rythme syncopé et à l’humour surréaliste d’un efficacité absolue, bien loin du canevas traditionnel de la comédie française, même policière Paradoxalement, au delà de cette impression de jemenfoutisme survitaminé, l’ensemble est tout de même beaucoup plus solide que ‘Notre jour viendra’, idée formidable mais sans réelle ossature à l’écran.