L’argent sale des banlieues est-il de gauche ?
Mais qui donc Romain Gavras est-il ? Le chantre d’une esthétique pop qui colore la grisaille des tours du quartier ou un fils à papa, petit bourgeois qui fantasme sur le parrain de la tess ? Ce n’est pas ce film qui apportera la réponse mais il continuera à nourrir la réflexion.
Ça commence en bas des tours d’on ne sait quel quartier populaire comme on dit pudiquement aujourd’hui. François est un dealer qui voit grand. Il rêve de monter un business légal et pépère au Maghreb pour s’acheter sa petite maison. Ce qui lui manque, c’est un capital de départ et c’est la raison pour laquelle il va accepter le plan risqué du parrain du coin. Sauf que le dernier coup, on sait toujours comment ça finit.
C’est toute l’ambiguïté de Gavras, le benjamin de la famille, qui est résumée dans mon accroche un brin provoc. La filmographie du gars ne peut être significative que si l’on s’intéresse à ses clips (devoirs du soir : allez regarder ça sur Youtube, ça vaut son pesant de publicités). Pour faire court, c’est violent, âpre, épique, romantique, immersif. Le film du jour est le prolongement de tout ça tout en s’en éloignant pas mal. La première partie pourrait être une comédie sociale qu’on rapprochera du récent La Daronne. C’est le portrait d’un pauvre type qui a les rêves de M. Tout le monde et le portrait d’un quartier qui semble être une parenthèse urbaine. La galerie des personnages est rocambolesque. Pour un peu, on se croirait chez Dupieux. Et quand l’action commence, on tient une comédie de malfrats tout à fait savoureuse. Ces deux parties se complètent à merveille. On rit franchement et on écarquille les yeux face à cette cour des miracles de paumés en tout genre. On saluera par la même occasion la performance de l’ensemble du casting et en particulier Adjani et ses yeux d’une autre planète en mère allumée, Philippe Katerine en avocat ami des voyous, Cassel méconnaissable en homme de main à l’ouest et Karim Leklou en magnifique loser. Le film tient en grande partie grâce à eux. L’autre vraie force, c’est l’intrigue, à la fois simple et riche. Et bien sûr, il y a la mise en scène de Gavras qui propose ici comme souvent, une vision glamour et pop du bandit. On ne pourra qu’être fasciné par cette esthétique rose bonbon et cette utilisation narrative forte de la musique, un peu comme chez Harmony Korine. On a rarement trouvé aussi beau un abruti en claquettes/chaussettes avec une kalash à la main et un banane Vuitton à l’épaule. Tout de force plein de sens ou provoc à l’endroit du bon goût bourgeois ? Et si c’est une affaire de sémantique, quel est le propos ? Mystère et boule de shit. On pourra trouver détestable la démarche d’enfant gâté qui renie son milieu ou au contraire la trouver salvatrice quand dans cette lutte des classes, le prolo vit comme un pacha singeant les codes beaufs du bourgeois sûr de lui. Et dans tout ça, il y a un mec qui rêve d’une petite maison en lotissement avec sa petite piscine dans son micro-jardin en écoutant du Balavoine. Mais qui es-tu, toi le type normal ?
En un mot comme en cent, voici une comédie réussie, irritante et drôle, intelligente et belle. Ou alors, c’est tout l’inverse. A vous de voir.