The Endless, lumineuse production lovecraftienne moderne réalisée par un duo ; deux fois plus de main mise sur un film indépendant. Pour qui a vu Monsters, le roi du cinéma indie, l’ambiance de tournage qui suinte est frappante de ressemblance. Les deux réalisateurs sont aussi acteurs, leurs personnages portent leur vrai prénom et ils adoptent plusieurs casquettes – Moorhead se retrouve directeur de la photographie et concepteur d’effets visuels. Ah oui, producteur aussi, tant qu’à faire.
[Spoilers] Lovecraft se tient dans le ciel comme le démiurge irrévocable de la vocation de Benson et Moorhead, peut-être lui-même le monstre invisible scellant leur destin fictif et sur lequel les protagonistes jettent un regard aveugle depuis le sol. Les créateurs mettent l’auteur adoré en en-tête et le citent, comme timides de réutiliser ses ficelles, des décennies après sa mort, dans une œuvre qui le fait renaître sans tout à fait le respecter.
La malédiction silencieuse est fantastique qui s’abat sur les personnages et leur cercle fraternel hermétique. C’est un onirisme négatif qui met presque en poésie l’horrifique, celui qui s’attire tous les superlatifs mais jamais l’honneur de l’image, parce qu’il est garanti par la bulle magnifique des deux frères.
C’est curieux, au septième art, cette suggestion outrageuse s’ignorant elle-même, mais c’est aussi toute la moelle indie que cultivent les réals. Car, après tout, c’est le budget qui les condamnait à cette naïveté telle qu’elle transpire de l’écran comme si l’on regardait une première œuvre. Voilà qui est tout à porter au crédit du duo, même s’il est éclairé de manière trop évidente à symboliser un destin gris ne cachant pas ses inspirations.
Cependant, parfois la candeur dépasse de la technique sur le texte : même dans les grandes lignes, heureusement que la vie des deux frères est bien cernée, sinon elle se noierait sous l’écrasante absence de son environnement. Le propos de l’histoire est toujours évident, jamais caché, et ce serait un détail si ça n’allait pas de paire avec le flop du scepticisme assené à la face du Cthulhu sylvestre par le personnage de Benson – il faut toujours un esprit pragmatique pour attacher le spectateur à l’incommensurable, et celui-ci tombe à plat.
Moorhead sauve la face – toutes les faces –, effaçant même le confrère qui aurait un mot à me dire s’il me lisait. Désolé, Benson, mais Moorhead a créé l’image, il s’est mis dedans, et il a insufflé à The Endless une force à laquelle personne n’aurait pu avoir de répondant.
La résolution du scénario n’en est pas vraiment une puisqu’il n’y a rien à savoir qui ne soit finalement toujours devant nos yeux, mais on va aisément au-delà du sens : pile poil entre Le Dôme et Le Radeau de King (mais si, c’est une nouvelle qu’on a vue adaptée dans Creepshow 2), on n’a pas l’impression de trouver seulement la raison d’être du film, mais son essence toute supradimensionnelle – vous vouliez faire du Lovecraft en substance, vous y êtes arrivés.
Le côté indie est une saveur unique et un peu une excuse. Parfois, The Endless déborde de son droit à l’amateurisme par touches charmantes, mais le lien entre le pouvoir et ses symboles est entretenu mieux que chez beaucoup d’artistes plus arrogants qu’on pourrait aussi plus facilement qualifier d’imitateurs – alors chapeau.
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