Cela fait maintenant plus de cinquante ans que Paul Verhoeven exerce comme réalisateur. D’abord reconnu en Hollande, son pays natal, où il secoue sur ses bases un cinéma national encore balbutiant, il est remarqué internationalement avec « Le choix du destin » en 1977 qui obtient le Golden Globe du meilleur film en langue étrangère. Dix ans plus tard, il est invité à Hollywood à l’initiative de Steven Spielberg pour y réaliser « Robocop » (1987) qui est un solide succès. Avec « Total Recall » (1990) et surtout « Basic Instinct » 1992), il tutoie les sommets du box-office et devient un des golden boy d’Hollywood. Le retour à la radicalité avec « Showgirls » (1995) entame le déclin de sa carrière américaine, un peu à l’image de ses débuts chahutés en Hollande. Comme si le cinéma de Verhoeven ne pouvait trouver sa place que dans le dithyrambe parfois démesuré ou dans la répulsion et l’incompréhension excessives. En dépit du succès remporté par « Hollow Man » (2000), film de science-fiction sous-estimé, Verhoeven se sentant bridé dans son expression artistique, décide de quitter Hollywood. Après avoir signé son retour avec brio grâce au formidable et très accompli « Black Book » (2006), fruit de toute l’expérience accumulée, il poursuit, après une période d’inactivité, son activité en France où il bénéficie d’une aura inconditionnelle auprès de la critique locale qui une fois sa confiance accordée, la retire difficilement, peu encline à se déjuger. « Elle » (2016), thriller sulfureux tiré d’un roman de Philippe Djian lui permet de briller dans les festivals sans être un véritable succès au box-office, le public se montrant rétif à la froideur du propos. Âgé de 82 ans, il s’attelle à la transposition sur grand écran du parcours très controversé de Benedetta Carlini, sœur catholique italienne ayant vécu au XVIème siècle. Le scénario écrit par David Birke et Verhoeven lui-même, est inspiré du livre de l’historienne américaine Judith Brown qui se penche sur le destin agité de sœur Benedetta où s’entremêlent expériences mystiques sujettes à caution, troubles psychiques avérés et homosexualité mâtinée de violence. Une bénédiction pour Paul Verhoeven qui voit là une occasion de faire à nouveau scandale à partir des trois thématiques fondatrices de son cinéma, sexe, violence et religion. Mais la question se pose de savoir si un homme de 80 ans, même s’il s’appelle Verhoeven, peut porter avec la même force les obsessions qui étaient les siennes quand il était au sommet de sa créativité, guidé par une insouciance, une sincérité et une transgression qui s’exprimaient dans un contexte ambiant différent dont il faisait partie intégrante. On doit avec regret répondre par la négative quand on regarde « Benedetta » qui nous faire dire que « Turkish Delices » (1973), « Katie Tippel » (1975), « Le choix du destin » ou le pourtant très calibré « Basic Instinct » sont désormais très loin de portée d’un réalisateur courant à perdre haleine après sa jeunesse enfuie. Obligé d’inscrire ses propos dans l’air d’un temps très idéologisé qui n’est pas le sien, Verhoeven s’est piégé lui-même, livrant un film finalement très convenu et propre sur lui, tout n’étant abordé qu’en surface. Les personnages hauts en couleur qui constituaient la marque de fabrique du réalisateur sont ici complétement désincarnés hormis la mère Felicita campée par la toujours juste Charlotte Rampling. Même chose pour les décors aux couleurs saturées qui en rien ne permettent de se plonger dans l’époque. Un ratage complet donc qui devrait inciter Paul Verhoeven à tirer sa révérence où à mettre toute son expérience dans la réalisation d’un film de genre plus modeste mais totalement maîtrisé. Le public ne s’y est d’ailleurs pas trompé qui a boudé sœur Benedetta interprétée par une Virginie Efira à qui d’évidence la soutane ne sied pas vraiment.