Lors de sa diffusion au festival de Cannes, "Benedetta" en a outragé plus d'un et a fait couler beaucoup l'encre. Attendu depuis deux ans et présenté comme étant l'un des films choc qui a secoué la Croisette, le film est l'adaptation d'un roman qui retrace le parcours d'une religieuse catholique dans un couvent italien du XVIIe siècle. Semblant être à l'origine de nombreux miracles, la présence de Soeur Benedetta suscite curiosité et admiration auprès de ses soeurs, mais ses visions prophétiques, ses possessions ainsi que sa fervente conviction d'être l'épouse de Dieu vont petit à petit bouleverser la sérénité du couvent. Et c'est sans compter l'éveil sexuel libéré qu'elle explore avec l'une de ses semblables... À 83 ans, Paul Verhoeven n'a plus grand chose à prouver ni à perdre. Sa mise en scène, empreinte d'humour scabreux, de scènes de fesses bien débridées et de violences crues ne se pare d'aucun filtre et fait le choix de tout montrer, de tout tenter. Et c'est là son point fort car sous ses airs scandaleux, "Benedetta" sème le doute et interroge la foi et la religion via un personnage à double tranchant, très ambigu. Est-elle l'Élue ou bien une menteuse manipulatrice de masses ? Sans cesse, le réalisateur introduit le divin dans un cadre austère et monotone. Deux vérités s'entrechoquent constamment, nous faisant comprendre que certains faits peuvent être interprétés à travers deux perspectives différentes. J'ai personnellement été fasciné par cette vague de doute qui plane au-dessus de cette sphère si réglementée et conservatrice de l'Église. Ce monde si mystérieux et invisible est démantelé de l'intérieur par ce cataclysme organique qu'est Benedetta. Pour moi, le sexe, qui a tant dérangé certains spectateurs, est ici un moyen d'émancipation, un outil dévastateur de pouvoir social et rappelle que l'homme (ici, la femme) est fait de désir, de chair, d'un instinct animal. Sans le vouloir peut-être, Verhoeven insuffle du féminisme là où on ne l'attend pas. Et puis, le scénario n'y va pas de main morte pour ériger la puissance trouble de Benedetta ! Alors que les premières scènes s'enchainent de façon trop évidentes, sans véritable profondeur, le développement est remué par un nombre de rebondissements qui promettent un thriller atypique mais étrangement captivant. La déconstruction et la satire de la religion passent par le ridicule, l'outrancier, le fantastique, la perversité, le kitsch mais aussi par le corps qui devient vecteur de passion et de jouissance ! "Benedetta" ne donne pas de réponses sérieuses et c'est là le charme bizarre de ce film qui joue à déranger tout en faisant du beau cinéma haletant. Les acteurs m'ont saisi, bluffé dans leur dévouement à cette douce folie. Tout le monde ne jure que par Virginie Efira dans ce rôle qui pèse dans le game, c'est vrai, mais je retiens surtout Charlotte Rampling, Daphné Patakia, Lambert Wilson (qui m'a surpris !) ou encore la jeune révélation Louise Chevillotte que j'ai trouvé dingue ! C'est non sans émotions que je me suis allé face à cette ribambelle de fantaisies et en cela, ce film a su m'emporter dans sa déviance, son côté sale, grand-guignolesque et malicieux. Et avec cette épidémie de Peste en toile de fond, qui gagne du terrain et divise la société, le parallèle est plus que pertinent...