Un film social de 2 h 57, vous êtes tenté.e ? N’essayez pas de tricher, on le voit d’ici : on sent chez vous quelque chose qui s’apparente à de la réticence. Et, si l’on vous dit que ce film social est en même temps une farce, un conte, un documentaire et qu’il lui arrive même de devenir une comédie musicale, vous sentez vous mieux ?
Lorsque la Direction d’une usine est surprise en train de faire déménager nuitamment les outils de travail de ses ouvriers, ce n’est jamais bon signe : cela sent à plein nez la délocalisation, le licenciement, le chômage. Reste comme arme pour les travailleurs : la grève avec occupation de leur usine. Une occupation illégale qui, curieusement, ne semble pas gêner les patrons outre mesure. Bien sûr, ces derniers vont chercher à diviser les ouvriers en proposant des primes de départ que certains vont accepter. La majorité d’entre eux, cependant, n’entend pas se faire acheter et préfère rester sur place, dans ce qui est, plus que jamais, leur usine. Y rester, mais pour faire quoi ? On évoque la possibilité d’une reprise de la production en autogestion. Toutefois, il est difficile de produire quelque chose avec des machines qui sont à l’arrêt.
Quand on plonge dans des luttes ouvrières, il est normal de rencontrer des syndicats parfois ambigus, des débats acharnés, avec, ici, des partisans de l’autogestion face à ceux qui ressentent le besoin d’une hiérarchie, plus, bien sûr, des problèmes économiques personnels car il faut bien un salaire pour faire bouillir la marmite. Même si on sent que le film est du côté de la lutte, on retrouve tout cela dans "L’usine de rien".
A côté des palabres et des frictions que la situation ne manque donc pas de générer, le film prend quelques chemins parallèles qui constituent un contrepoint plus léger et parfois savoureux au thème principal. C’est ainsi que le collectif de scénaristes nous fait rencontrer Zé, un trentenaire plutôt décontracté qui chante dans un groupe de rock et qui vit avec Carla, sa petite amie brésilienne, et Nowgly, le fils de celle-ci. Quant à son père, l’idée d’une révolution n’est pas pour lui déplaire, une révolution qui, espère-t-il ne serait pas, cette fois ci, une révolution des œillets. Autre chemin parallèle emprunté par le film, l’arrivée d’un cinéaste italien venu couvrir un sujet lié à l’austérité au Portugal. Tout cela avant de faire prendre au film un virage vers une forme « low cost » de comédie musicale et de nous faire rencontrer des autruches au bord d’un fleuve.
Un esprit chagrin trouvera matière à ronchonner face à "L’usine de rien" : trop long, parfois un peu trop didactique, bavard, utilisant souvent une voix off, foutraque (une partie comédie musicale qui arrive un peu comme des cheveux sur la soupe, la rencontre avec les autruches), une foultitude de « défauts » que d’aucuns pourront même trouver rédhibitoires. Il y a une autre façon de voir et de commenter le film : un film qu’on pourrait presque qualifier de godardien, d’une grande actualité, libre, créatif, bourré d’énergie, aux facettes nombreuses, un film ouvertement politique qui aide à sortir des cadres qui nous sont imposés.