Fabio Grassadonia et Antonio Piazza sont deux scénaristes et réalisateurs siciliens. Leur premier long métrage, Salvo, a été présenté au festival de Cannes en 2013 où il a remporté les deux prix de la Semaine de la Critique : le Grand Prix et le Prix Révélation. Le film a été distribué dans une vingtaine de pays, États-Unis inclus, et il a participé à de prestigieux festivals internationaux. En 2010, Fabrio Grassadonia et Antonio Piazza ont écrit et réalisé le court métrage Rita, leur première réalisation avec laquelle ils ont obtenu d’importantes reconnaissances en Italie et à l’étranger. Tous deux continuent à travailler aussi comme consultants en développement de scénarios pour des institutions européennes comme Berlinale Residency, Locarno Open Doors, POWR Baltic Event, Torino FilmLab, Semaine de la Critique Next Step, Nisi Masa ESP.
Sicilian Ghost Story est inspiré d’un fait réel. Le 23 novembre 1993, Giuseppe Di Matteo, fils du mafieux repenti Santino Di Matteo, est enlevé par des hommes habillés en policiers dans le manège équestre qu’il fréquente. Ils le convainquent de monter dans une voiture avec eux, en lui disant qu’ils l’emmèneront voir son père, qui collabore avec la police dans un lieu secret. Giuseppe, n’ayant pas vu son père depuis des mois, ne se le fait pas dire deux fois. C’est ainsi que commence le rapt d’un gamin de 12 ans. Giovanni Brusca, le « boss » de la mafia qui a organisé cet enlèvement, est sûr que Santino Di Matteo interrompra sa collaboration avec la police pour sauver son fils et qu’il reviendra sur ses témoignages dans les procès en cours contre lui (Brusca a commis plusieurs homicides ; il est l’un des principaux suspects dans l’attentat contre le juge Falcone).
Brusca a vu grandir cet enfant car il était l’ami et le boss de Santino di Matteo. Santino Di Matteo continuera pourtant de collaborer avec la Justice. Giuseppe restera 779 jours et nuits entre les mains de ses geôliers mafieux, qui le déplacent d’une cachette à l’autre, menotté, les yeux bandés, lors de longs transferts dans toute la Sicile. Cet enlèvement sans issue possible s’achève dans un bunker souterrain au sein d’une propriété à 2 kilomètres du village natal de Brusca et à 20 kilomètres du village natal de l’adolescent. La nuit du 11 janvier 1996, Giuseppe, qui n’est plus qu’une larve humaine d’une trentaine de kilos, est étranglé, son corps est dissous dans de l’acide.
Les réalisateurs Fabio Grassadonia, Antonio Piazza reviennent sur le travail de recherche en amont de la production de Sicilian Ghost Story : "Avant de commencer à travailler sur le scénario nous avons lu les actes des procès qui au fil des ans ont été intentés contre les criminels qui ont enlevé et assassiné l’enfant, les livres de reconstitution historique de l’événement, y compris ceux des bourreaux. Nous sommes allés dans les lieux où l’enfant a vécu son calvaire. Ces recherches grâce auxquelles nous avons pu reconstruire bien des moments de son emprisonnement, ont été fondamentales. En effet, c’est de quelques-uns de ces moments, tels qu’ils se sont réellement produits, que nous voulions partir pour construire notre Giuseppe qui, dans sa communication secrète avec Luna, trouve la force pour les transfigurer et faire vibrer son indestructible humanité. Ces recherches ont aussi fait émerger ce qui pour nous est le trait dominant des criminels qui ont organisé l’enlèvement : leur idiotie insensée. C’est pourquoi dans la mise en scène nous n’avons pas donné aux geôliers un statut de personnages mais seulement celui d’automates féroces et ridicules. Des marionnettes vides, rien de plus."
La première phase de création et d’articulation de l’histoire a été solitaire et angoissante pour les cinéastes Fabio Grassadonia, Antonio Piazza. "Une phase au terme de laquelle nous nous sommes présentés au producteur Nicola Giuliano pour lui raconter l’histoire que nous avions à l’esprit et savoir si cela pouvait l’intéresser de la développer avec nous. Malgré notre récit oral encore incertain, Nicola nous a aussitôt fait confiance, il nous a fait quelques suggestions et donné quelques conseils, qui se sont révélés fondamentaux pour le développement du scénario. Son attention et ses notes nous ont accompagnées tant dans les différentes versions du scénario que lors du montage. C’est encore à Nicolas que nous devons notre rencontre avec le directeur de la photographie Luca Bigazzi. La qualité et la rapidité Luca et son équipe à l’oeuvre dans leur travail sont impressionnantes. La troisième rencontre cruciale liée à Nicola Giuliano et à Indigo Film a été celle de Cristiano Travaglioli, le monteur de Sicilian Ghost Story. Comme Nicola, Cristiano est un lecteur attentif du scénario. Son travail n’a donc pas commencé à la fin du tournage, comme c’est le cas d’habitude, mais bien avant le début de celui-ci. Ses réflexions, tant sur la structure générale du récit que sur quelques détails des personnages, nous ont accompagnés jusqu’au plateau. C’est pourquoi nous avons voulu qu’il reste à nos côtés lors du tournage."
Fabio Grassadonia et Antonio Piazza ont commencé le casting à Palerme en octobre 2015, conscients du fait qu’il serait difficile de trouver deux adolescents qui puissent donner vie à cette intensité, à cette force, à cette variété de sentiments et de situations qui traversent le scénario : du jeu d’amour innocent du début, à la douleur, à l’égarement, à la solitude à laquelle l’histoire contraint les deux très jeunes protagonistes. "Pour cette raison nous avons décidé de nous impliquer directement dans le travail de casting. Nous avons collaboré avec Maurilio Mangano, qui nous avait déjà accompagnés sur notre tout premier film, le court métrage Rita. Être impliqués directement dans un casting a signifié voir chaque visage, entendre chaque voix, visiter toutes les écoles, tous les centres sportifs, connaître les jeunes, rencontrer leurs enseignants, leurs parents, leurs amis. Et ne jamais nous satisfaire avant d’avoir « rencontré et reconnu » Giuseppe et Luna. Nous avons étendu d’emblée la recherche aux autres rôles interprétés par des adolescents. Il y avait six jeunes à trouver. Le casting a été un recensement, un voyage long et émouvant de quelques neuf mois dans les écoles de Palerme et des environs, jusqu’à ce qu’un jour nous nous soyons dits : « Nous les avons tous trouvés, nous pouvons commencer."
Après une très longue recherche qui avait amené au choix de tous les jeunes qui allaient composer la distribution, le rôle qui demeurait sans interprète était précisément celui de la protagoniste. "Les mois passaient mais nous n’avions aucune trace de Luna. Un jour notre collaborateur Maurilio Mangano nous a montré un entretien vidéo avec Julia Jedlikowska, une jeune fille de douze ans rencontrée dans un collège. Julia est polonaise, mais elle vit à Palerme avec sa mère depuis l’âge de trois ans. Au début de cette vidéo, Julia marche, jusqu’à apparaître nettement dans l’objectif de la caméra. Rien que dans sa manière de marcher nous y avons reconnu le personnage de Luna, la jeune fille que nous cherchions depuis des mois. Intelligente, plus mûre que son âge, solitaire, Julia ne s’est jamais arrêtée devant rien. Courir dans le bois, nager dans un lac en automne, échapper à un chien, interpréter un long monologue et répéter les scènes plusieurs fois : clap après clap, infatigable et d’une très grande précision", confient Fabio Grassadonia et Antonio Piazza.
Le 24 décembre 2015, un gamin palermitain vient frapper à la porte du bureau où Fabio Grassadonia et Antonio Piazza organisent le casting ; il s’appelle Gaetano Fernandez et n’a pas de rendez-vous. Il vient de Dannisinni, un des quartiers les plus sensibles de Palerme. Il est arrivé avec son cousin. Il avait appris l’existence du casting sur Facebook, mais n’avait pas amené avec lui l’autorisation de ses parents. "Au lieu de le renvoyer aussitôt à la maison, nous l’avons reçu remarquant au fil de la discussion une intelligence dans son regard. Lors de cette première rencontre déjà nous avons compris que nous avions devant nous notre personnage principal, Giuseppe. Quand il est revenu pour un bout d’essai, Gaetano nous a bouleversés par son intelligence, sa spontanéité, sa joie et son caractère solaire et généreux. Il vient de la rue, comme il est souvent fier de le dire. C’est là sa véritable école. Il aime Palerme plus que toute autre chose et plus qu’aucun lieu au monde, la musique populaire sicilienne, le football et passer du temps dehors. La paroisse du quartier, que Gaetano fréquente activement, a un cheval. Gaetano le soigne et a appris à le monter."
Fabio Grassadonia et Antonio Piazza ont demandé l’aide d’un ami précieux, Filipo Luna, grand acteur palermitain, déjà coach d’acteurs durant le tournage de leur premier film, Salvo. "Avec Filippo nous avons aussitôt compris quelle était la chose la plus importante, si nous voulions réussir. Le temps. Nous avions besoin de temps, pour connaître les adolescents et faire en sorte qu’ils nous connaissent, les faire entrer de la manière la plus douce possible dans l’univers de l’histoire du film, les préparer à la vie d’un tournage. Avec Filippo et les jeunes, nous avons quitté Palerme et nous avons commencé un long atelier, de plus de deux mois, plongés dans la nature sicilienne. Invités de deux gîtes ruraux, d’abord dans la forêt de Castelbuono puis dans les environs de Troina, nous avons construit avec les jeunes leurs personnages, dans le respect du scénario mais aussi avec leurs personnalités spécifiques, dans un échange constant entre le texte et leur individualité, leur manière d’être, de parler, leurs rêves, leurs espoirs, leurs amours… Ce fut l’expérience la plus riche de sens de notre vie, pas seulement d’un point de vue professionnel. Durant l’atelier, à l’approche du tournage, les acteurs adultes et professionnels se sont peu à peu ajoutés, avec une grande et généreuse humilité, mais aussi avec une vive surprise pour ce que les jeunes avaient construit entre- temps."